Personne ne pourra accuser Neil Young de ne pas s'être livré corps et âme dans son Autobiographie. C'est plutôt le contraire qui eût été étonnant.

Le même Neil Young qui plongera tête première dans un long jam avec Crazy Horse vendredi au Centre Bell nous entraîne dans un récit échevelé où la chronologie est aléatoire, les redites et les digressions, fréquentes, et les apartés, récurrents. Young le sait trop bien, qui écrit, à la page 137: «Comme vous avec dû vous en apercevoir si vous êtes toujours là, je ne suis pas très calé en self control. Jusqu'ici, je n'ai réécrit qu'un seul paragraphe de ce livre.»

Pourtant, ce livre de plus de 500 pages est aussi fascinant que son auteur, un fils du nord de l'Ontario, transplanté à Winnipeg après le divorce de ses parents et qui, déjà dans la jeune vingtaine, sera un musicien adulé jouant avec Buffalo Springfield et Crosby, Stills and Nash en Californie. Un homme libre qui abhorre les compromis et a tendance à prendre ses distances quand il sent la routine s'installer.

«J'aime tout faire moi-même, je déteste dépendre de l'avis de quelqu'un - à quoi bon, puisque je sais que j'ai raison. La preuve, c'est que ça marche», écrit-il. Neil Young est un être plein de contradictions parfaitement assumées qui collectionne les bagnoles vintage, mais planche depuis des années sur la LincVolt, une voiture hybride de luxe. Un homme de conviction, surtout, prêt à convaincre les majors du disque et à se battre contre Apple s'il le faut pour mettre sur pied et imposer Pono, une solution de remplacement au mp3 et à la dégradation radicale du son.

Young est évidemment le créateur surdoué qui, dans la même après-midi de 1968, a pondu Cinnamon Girl, Cowgirl in the Sand et Down By the River, et qui pourtant, au moment d'écrire ce livre, s'inquiétait de ne plus avoir écrit de chansons depuis qu'il avait cessé de fumer de l'herbe.

«Jusqu'ici, j'ai toujours écrit défoncé», confesse-t-il. C'est un artiste têtu qui, dans les années 80, a incité David Geffen à le poursuivre pour lui avoir livré trois albums qui ne sonnaient pas comme du Neil Young, mais un artiste adulé par des musiciens plus jeunes qui le prennent pour modèle. On ne s'étonne pas que le producteur de cinéma en lui soit un grand admirateur de Jean-Luc Godard et ses «longs plans-séquences qui racontent une histoire à eux seuls».

Le titre anglais de cette autobiographie, Waging Heavy Peace, décrit bien le parcours tumultueux de l'homme. Le divorce de ses parents et la séparation d'avec son père Scott, journaliste et écrivain réputé qui sombrera dans la démence. Le drame de ses deux fils handicapés, Zeke et Ben. Les graves problèmes de santé de Young lui-même, qui a souffert de la polio, a dû porter un corset jusque dans la vingtaine, a fait des crises d'épilepsie et, plus récemment, a été opéré au cerveau pour un anévrisme et a failli mourir au bout de son sang à sa sortie de l'hôpital.

Crazy Horse

Autour de lui, d'autres musiciens ont eu moins de chance, dont le premier guitariste de Crazy Horse, Danny Whitten, mort d'une surdose d'héroïne au début des années 70, et Ben Keith, son bras droit, dont il compare la disparition récente à celle de Clarence Clemons pour son ami Bruce Springsteen. Young écrit: «Je ne vais pas engager un autre joueur de pedal steel pour remplacer Ben, et je sais que Bruce ne jouera pas avec un autre saxophoniste. Ça n'arrivera pas.» Euh...

Young est ce même homme qui transportait son premier groupe, les Squires, d'un concert à l'autre dans son corbillard et qui, plus tard, a fait de la musique avec Charles Manson - «plutôt doué», écrit-il - chez Dennis Wilson des Beach Boys. Il qualifie son ami Stephen Stills de génie et affirme que CSNY était profondément en phase avec sa génération, mais pas aussi uni par la même alchimie qui cimentait Buffalo Springfield. Il est surtout élogieux envers son vieux Crazy Horse: «Ce groupe me permet de m'élever vers des régions cosmiques que nul ne me permet d'atteindre.» Un peu plus loin, il ajoute: «Je rêve de partir dans une de nos longues improvisations et de flotter au-dessus du troupeau tel un condor.»

C'est ce qu'on se souhaite tous vendredi.

Neil Young avec Crazy Horse, au Centre Bell le 23 novembre. En première partie: Patti Smith.