«Un journaliste français a dit de moi que je suis immarcescible, dit en plaisantant Robert Charlebois. C'est un terme utilisé par les bijoutiers pour désigner un métal sur lequel la rouille n'a pas de prise. En tout cas, 50 ans après mes débuts, les gens continuent à venir me voir, y compris à Paris où il y a des centaines de concurrents chaque soir. De voir des salles pleines devant moi, j'en reviens pas...»

Cinquante ans, peut-être pas: Charlebois a fait son apparition en 1969 avec une prestation tumultueuse à l'Olympia, et le triomphe de Lindberg au Top 50, c'était il y a 43 ans. Et les grands succès artistiques ou commerciaux sont antérieurs à 1980. Dans les émissions de radio ou de télé, dans les salles de spectacle, on continue de lui réclamer Ordinaire, Je reviendrai à Montréal, J't'aime comme un fou, Les ailes d'un ange et Dolorès. Aucun des albums qui ont suivi n'a fait de gros chiffres de vente.

Mais Charlebois a beau être en somme une vedette des années 70, la persistance de son succès en France - à un niveau certes plus artisanal - a quelque chose de phénoménal.

À guichets fermés

Hier soir, la salle à l'italienne de l'Européen était pleine à craquer pour venir applaudir quelques chansons de son dernier album, qui vient de sortir à Paris deux ans après le Québec, et surtout le répertoire «classique», servi par de très bons musiciens et décliné sous diverses formes, en pot-pourri ou avec accompagnement de ukulélé. De toute évidence, les spectateurs étaient des fidèles de longue date, qui connaissaient les paroles et les musiques. Pour cette avant-première, les vieux copains de Paris s'étaient déplacés: entre autres Julien Clerc, l'écrivain et parolier Jean-Loup Dabadie, le touche-à-tout de génie David McNeil, par ailleurs fils de Marc Chagall et autre parolier attitré. Et Luc Plamondon, qui se trouvait dans les parages.

La salle à l'italienne de l'Européen ne contient peut-être que 400 places, mais Charlebois y donne ses cinq représentations à guichets fermés. On vient d'ajouter une soirée supplémentaire, le 23 mars au Trianon, nouveau lieu branché du quartier Pigalle qui accueille de 1080 à 1500 spectateurs. Pour un chanteur «à textes» qui n'a pas eu de vrai «tube» depuis 30 ans, c'est un très gros succès que beaucoup de chanteurs français pourraient lui envier.

«Robert n'est pas une vedette commerciale et n'a jamais été un très gros vendeur de disques, dit son attachée de presse Michèle Latraverse, mais dans un certain genre de médias, on le trouve drôle et sympa, et tout le monde l'invite.»

Au mois de mai, sortie de l'album. L'Express lui consacre quatre pleines pages. Dans Le Nouvel Observateur, sur une page entière, Julien Clerc lui déclare «les sept raisons que j'ai de t'aimer».

L'hebdo culturel Télérama accorde trois étoiles à son album: «Voix enveloppante, gravité sensuelle, inaltérable et swing imparable: on ne peut que s'incliner devant une telle maîtrise, un flot vocal et musical calme et puissant que rien ne semble arrêter.»

Au mois de septembre, nouvelle offensive qui ouvre le 9 septembre sur un Vivement dimanche de deux heures où il est l'invité d'honneur de Michel Drucker. Suit une liste d'émissions «de qualité», notamment à France 2 (télé), à France Inter (radio): une douzaine d'apparitions en trois semaines.

«C'était la première fois que je faisais la grande émission de Drucker, explique Charlebois. Même si c'était encore presque l'été, le standard de l'Européen a croulé sous les appels et toutes les places se sont vendues.»

Dans la foulée du Trianon, il y a déjà une vingtaine de dates prévues en province en mars. «La différence entre la scène et le studio, dit le chanteur, c'est ce qui sépare l'adulte de l'enfant. Dans un studio, il y a tellement de gadgets qu'on peut faire chanter à peu près juste un chimpanzé. Ce que j'aime vraiment, c'est la scène.»

Hier soir, à l'Européen, la scène réussissait bien au jeune homme de 68 ans.