On l'a vue totalement nue dans Borderline et presque nue sur la couverture du Elle Québec. Le reste du temps, on l'a vue habillée et toujours convaincante, peu importe le rôle. Voilà qu'Isabelle Blais nous revient en musique et en chansons avec son groupe Caïman Fu et À des milles, un nouveau CD planant réalisé par Carl Bastien.

On pense toujours que l'on connaît Isabelle Blais, qu'elle est notre voisine, notre cousine, la fille qu'on a vue à la garderie ou à l'épicerie. On pense qu'on sait tout d'elle parce qu'on l'a vue vivre et réagir de mille et une façons à la télé dans C.A., Prozac, Trauma, Tu m'aimes-tu? et au cinéma dans Borderline, Les invasions barbares, Un crabe dans la tête et combien d'autres oeuvres? Pour chaque rôle, son degré d'authenticité était tel qu'on se disait qu'elle ne jouait pas. Qu'elle ne faisait qu'être elle-même.

Mais en réalité, on sait peu de choses sur Isabelle Blais. Ses mises à nu récentes n'ont rien fait pour dissiper le mystère.

Pourtant, la jolie blonde habillée jusqu'au cou que je rencontre dans un café à la frontière du Mile End où elle vit n'est pas si mystérieuse que ça. Un brin timide, peut-être, mais assez franche, directe et... fidèle. Oui, pas de doute, la fidélité occupe une grande place dans le coffre à outils d'Isabelle, comme en témoignent ses 11 années avec Caïman Fu, groupe qu'elle a fondé avec Nicholas Grimard, un copain de Trois-Rivières.

À mesure que sa carrière d'actrice prenait du galon et accaparait son temps, elle aurait pu quitter le groupe. Elle a tenu bon. Et 11 ans plus tard, malgré les tempêtes, les changements de cap et de maison de disques, le départ d'un bassiste et l'arrivée d'un nouveau, malgré un rayonnement parfois confidentiel, Caïmain Fu existe toujours envers et contre tout. Le nouveau CD porte bien son titre: À des milles, pour tout le chemin parcouru et parce que le groupe est à des milles de ce qu'il était au début. Mais lorsqu'on lit les paroles signées par Isabelle Blais, un autre sens apparaît: celui de l'excès et d'un dérèglement des sens très rimbaldien. «Des moments où l'envie me prend, juste comme ça, m'intoxiquer... À des milles de moi, à mille lieues de moi, je perds pied, je crois aussi que j'ai perdu ma dignité.»

J'imagine très bien la Kiki de Bordeline écrire et incarner ces paroles, mais la douce et sage Isabelle Blais? «Je peux être douce et sage, mais je peux aussi être très excessive et un peu trop sur le party. Mais la chanson ne parle pas que de moi et de mes excès, mais des excès de bien des gens que je connais. Si j'ai choisi de la mettre au je, c'est surtout pour éviter d'avoir l'air de juger les autres.»

Isabelle Blais ne juge pas plus les autres que ses personnages. Elle ne juge pas le métier qu'elle fait, mais concède qu'il ne la comble pas complètement. «Enfin ça me comble beaucoup sauf que sur le plan créatif, quand j'arrive sur un tournage, tout a été écrit, décidé. Or, j'aime écrire, j'aime le défi que ça pose. J'aime être impliquée dans un projet de A à Z et être obligée de réfléchir à ce que je veux dire.»

La question s'impose: qu'a-t-elle voulu dire, chanson après chanson, dans À des milles? «Pas des grandes choses, répond-elle. C'est un album de bilans. Je vais bientôt avoir 40 ans comme bien de mes amis et je me pose des questions sur l'amour, la famille, le suicide, l'amitié. Assez bizarrement, j'ai écrit toutes les paroles en anglais d'abord. Puis je me suis donné le défi de les adapter en français, parce que je crains pour notre langue. C'est bien beau d'être international, mais si on ne parle pas notre propre langue, si on ne la chante pas, qui le fera?»

Parmi les chansons-bilans du CD, il y a Fou, balade mélancolique et poignante sur une famille qui se fissure. «J'ai eu une adolescence difficile, raconte-t-elle, au sein d'une famille dont les parents allaient se séparer, mais ne le faisaient pas. Il y avait beaucoup de non-dits, c'était lourd. Ma façon de réagir, c'était d'être en colère, de rejeter ma famille et de me pousser. Ç'a été une époque pénible de ma vie, qui heureusement est terminée. Aujourd'hui, je suis très proche de ma famille, mais j'avais quand même besoin de purger ce moment-là de ma vie.»

Le fait qu'entre temps, Isabelle Blais ait mis au monde un enfant, un petit garçon prénommé Lewis et âgé de trois ans et demi, n'est pas étranger à son besoin de faire la paix avec son passé et de revisiter son adolescence.

Le père de Lewis, John Barrett Ashmore, est directeur photo de séries télé. Isabelle et lui ont été ensemble pendant près de 15 ans avant de se séparer en toute amitié. «Pas comme mes parents», précise-t-elle.

Isabelle Blais a gagné le Jutra de la meilleure actrice pour Bordeline, deux mois après avoir accouché de son fils. Le soir du gala, elle est apparue lumineuse, rayonnante et un peu ronde. «Pour beaucoup de gens, j'étais rendue grosse, dit-elle. J'ai immédiatement senti la pression pour que je perde des kilos. Mais j'ai pris mon temps et j'ai eu de la chance. Les projets sur lesquels j'ai travaillé après impliquaient soit un laisser-aller physique, soit d'être enceinte. N'empêche, j'ai senti changer le regard des autres sur moi. Je n'étais plus la jeune première blonde et filiforme et on ne m'appelait plus pour auditionner pour ces rôles-là. Ça m'a un peu dérangée.»

C'est avec le sentiment du temps qui passe et du corps qui change que Isabelle Blais a accepté de poser pour Elle Québec en culotte de maillot et les seins cachés par ses bras. «C'était une façon de me réconcilier avec mon corps, de l'assumer. Et puis, c'était le moment où jamais de le faire, parce qu'après ça, je serai trop vieille. J'ai été un peu choquée par la photo qu'ils ont choisie de mettre en couverture sans me consulter, surtout que je suis la fille la plus pudique en ville. Dès qu'un vêtement est trop échancré ou trop court, ça me gêne, mais bon, je suis habituée à faire de la distanciation. Alors quand j'ai vu la photo dans les kiosques à journaux, je me suis dit que ce n'était pas vraiment moi.»

Ces jours-ci, la vraie Isabelle Blais est sur scène avec Caïman Fu ou sur la photo de leur nouveau CD. Assise par terre avec ses amis musiciens devant le capot d'une vieille Corvair crème, un sourire énigmatique sur les lèvres, Isabelle Blais est sur cette photo, à des milles de tout sauf d'elle-même.



Isabelle en Vrac


1) Au début

Née à Shawinigan, élevée à Trois-Rivières, l'aînée des trois enfants. Études en théâtre au cégep de Trois-Rivières et au Conservatoire d'art dramatique de Montréal. Promotion 1997.

2) Rôles marquants

Au cinéma, Kiki dans Borderline. À la télé, Sarah dans C.A.. Au théâtre, Hélène dans Midsummer, rôle qu'elle reprendra avec Pierre-Luc Brillant à la Licorne au printemps 2013.

3) Musiciens inspirants

Flaming Lips, Beck, Martin Léon, Stereo Lab et Miles Davis.

4) Les rôles qu'elle aimerait un jour jouer

Des excessives, des folles, des chiantes, des filles qu'on aime haïr, bref des rôles à mille lieues d'elle.