Elle aura 100 ans le 26 août mais Leo Marjane, une star de la chanson française des années 40, aujourd'hui retirée dans sa maison de Barbizon, garde une énergie et un enthousiasme débordants et se remémore «un succès mondial» auquel elle ne «s'attendait pas».

«Quand j'étais petite, je suivais des cours de chant, de violon et de piano, la chanson est venue plus tard, à 15 ans, en 1927. J'ai participé à un concours à l'Alcazar de Marseille, j'y ai chanté et j'ai gagné», raconte avec une légère émotion cette belle femme aux yeux bleus, délicatement maquillée, les cheveux blancs au carré impeccable.

Dès 1932, Léo Marjane grave ses premiers disques. En 1937, avec sa voix chaude et envoûtante de contralto et sa diction au phrasé jazzy très moderne, elle enregistre son premier grand succès La chapelle au clair de lune.

«Le disque s'est vendu comme des petits pains, ça a été un véritable succès», se remémore, l'oeil malicieux, Léo Marjane, de son vrai nom Thérèse Gérard.

Puis «tout s'est enchaîné»: elle chante dans les music-halls, à Bobino, à l'ABC, chez O'Dett, et au Shéhérazade, des établissements plus intimistes où elle séduit petit à petit un public de plus en plus fidèle.

«Je ne m'attendais pas du tout à un tel succès. Je ne l'espérais même pas, j'avais du mal à le croire. La célébrité est difficile à accepter et c'est presque un handicap», assure-t-elle.

Elle met ensuite le cap sur les États-Unis et sillonne le pays durant 5 ans. «À Washington, c'était la première fois que je voyais ce qu'était une ovation: la salle était debout, m'acclamant avant même que je ne chante. C'était très émouvant. Seuls les Américains savant faire ça, c'est un public extraordinaire», affirme-t-elle.

Son amie la chanteuse Line Renaud explique qu'elle «doit beaucoup» à Leo Marjane. «Avec deux de ses chansons, qui étaient de Loulou Gasté, j'ai remporté ma première audition», raconte la comédienne et chanteuse, émue, à l'AFP.

«En avance sur son temps»

«Elle était mon idole, une chanteuse en avance sur son temps. Elle était originaire du Nord, ce qui pour nous était très important car cela signifiait qu'on pouvait devenir artiste même en venant de cette région», se rappelle Line Renaud.

En 1941, Leo Marjane connaît un «succès «mondial», «extraordinaire», avec Seule ce soir, une chanson dans laquelle se reconnaissent les femmes françaises dont le mari est prisonnier de guerre en Allemagne.

À la Libération, on lui reproche d'avoir chanté dans des cabarets fréquentés par des officiers allemands. Elle est jugée et finalement acquittée.

«On a dit beaucoup de bêtises sur moi, ils ont voulu me démolir», regrette-t-elle. «Quand on est en haut de l'affiche, on essaie de vous descendre mais pourquoi démentir quand ce n'est pas vrai ?»

Nouvel exil aux États-Unis. En France, la chanson est en pleine mutation. À son retour, elle raconte «ne plus être à (sa) place»: «ça avait changé, on ne s'habillait plus pour entrer sur scène, je n'avais plus envie de faire ce métier», confie-t-elle, contemplant son grand jardin parsemés de rosiers.

Une nouvelle vie débute. Elle se marie au baron de la Doucette et se consacre à l'élevage des chevaux à Barbizon. «J'aime la forêt, la nature et je faisais encore du cheval il y a trois ans», relate fièrement Leo Marjane, désormais entourée de son coq César, ses six poules et son berger allemand Raja, «le maître de la maison».