Les organisateurs du Festival international de musique actuelle de Victoriaville le savaient depuis samedi matin. Les spectateurs, eux, l'ont su lorsqu'ils avaient déjà pris place dans la salle prévue pour le concert: «Pour des raisons personnelles», a résumé Michel Levasseur, directeur artistique du FIMAV, Bill Laswell n'a pu se présenter et ses deux collègues scandinaves ont dû faire à deux. En power duo, donc.

Du côté des relations de presse, on nous a confié que la nouvelle avait été retenue «afin d'éviter l'effet boule de neige». Semble-t-il que la stratégie a porté fruit car le FIMAV a suggéré une compensation et ainsi évité les huées: en première partie de concert,  performance solo du contrebassiste et violoniste Henry Grimes - qui était déjà sur place en tant que touriste et qui a accepté au pied levé. Personne n'a rouspété (pas de vive voix, en tout cas), on a plutôt applaudi le vétéran.

Henry Grimes n'en est pas à sa première apparition surprise, il faut dire: autrefois contrebassiste réputé, il fut associé à la New Thing de Cecil Taylor, Don Cherry, Steve Lacy et autres Pharoah Sanders, puis il disparut de la circulation après avoir quitté New York pour la Californie. On l'a même cru mort et... il fut retrouvé de nombreuses années plus tard, soit en 2003. Sans contrebasse, sans le sou, échoué dans un appartement minable de Los Angeles, totalement démuni. Des collègues lui ont alors permis de ressurgir - le contrebassiste William Parker, notamment.

Miraculé du jazz contemporain, Henry Grimes a alors connu une renaissance spectaculaire. En 2012, son mythe se porte encore à merveille force est de constater de nouveau à Victo - où il s'est déjà produit. Et sa contrebasse? Son violon? Jeu free typique des années soixante, rien de plus, rien de moins.

Puis ce fut Blixt sans Laswell. Anti-climax? Heureusement, non. Enfin... pas tout à fait. Belle entrée en matière, bien que ça manquât  parfois de ciment entre les pierres de l'édifice. Une histoire à suivre  car le guitariste finlandais Raoul Björkenheim et le batteur Morgan Agren, deux musiciens de l'élite mondiale à n'en point douter, incarnent ce dont a cruellement besoin le jazz électrique: influx métal-prog, nouveau potentiel de déflagration, violence typique du rock dur ou très dur.

Le jazz fusion nous ennuie depuis tant d'années, une de ses rares issues de développement se trouve à mon sens dans le métal virtuose auquel on injecte l'imagination nécessaire à l'improvisation libre. Voilà précisément où Blixt tente de nous mener.

La veille, autre indice probant au même Cinéma Laurier  de Victo: The Spanish Donkey, autre trio de puissance formé du guitariste Joe Morris, du batteur Mike Pride et du claviériste Jamie Saft - qu'on a vu souvent auprès de John Zorn. Ce dernier combine synthés et Hammond B3, en résulte un incandescent et furieux mélange de textures harmoniques auxquelles s'ajoutent les motifs de guitare et les mitrailles de la batterie. Beaucoup plus dans la texture que dans l'articulation. Néamoins très heavy, épidermique, contagieux.

À ce 28e FIMAV, on n'a eu qu'un avant-goût de ce qui s'annonce: le jazz-métal-prog contemporain arrive à grands pas. Il était temps.