Je n'ai pas à redire tout le bien que je pense du Festival de musique de chambre qu'a fondé Denis Brott en 1995 et qui, depuis l'an dernier, se tient dans la magnifique église anglicane St. George, face à la gare Windsor. Je suis même prêt à ignorer son inexplicable volet jazz - en fait, je l'ignore tout à fait - devant les belles réalisations que son initiative nous a values et nous vaudra certainement encore.

Dans la colonne «moins», à côté du jazz, je dois hélas! inscrire le concert inaugural du 17e Festival. Bien que le répertoire de musique de chambre soit d'abord instrumental, on peut y inclure certaines oeuvres pour voix et petit ensemble instrumental. Deux des plus connues sont Il Tramonto de Respighi et la Chanson perpétuelle de Chausson, toutes deux inscrites au programme de jeudi soir. On y avait ajouté La Mort d'Ophélie de Berlioz, qui existe en plusieurs versions.

Présentée dans la brochure du Festival sous la ronflante étiquette «Extraordinaire Diva», la soprano canadienne d'origine arménienne Isabel Bayrakdarian défendait ce programme, qu'elle ouvrit avec quelques belles mélodies de Liszt et un insignifiant petit cycle du très obscur compositeur américain Jake Heggie, accompagnée au piano par Serouj Kradjian, et qu'elle compléta avec quelques chansons folkloriques arméniennes signées Sogomon Komitas (ou Gomitas, comme l'appelle le Festival) où piano et quatuor à cordes se joignaient à elle.

À la rigueur, un programme entièrement classique pour voix et ensemble instrumental pouvait meubler ce concert inaugural. Mais le folklore n'y avait pas sa place. On ne va pas à la musique de chambre pour entendre du folklore chanté. Le fait qu'il y ait eu là 400 personnes n'est pas un argument valable puisque la direction a précisé que, sur 400 personnes, il y avait là 200 Arméniens.

Mais il y eut pire encore que le programme lui-même : la voix de la chanteuse. Une voix aigre, chevrotante et monochrome, surtout en première partie, car une certaine souplesse et une certaine couleur sombre vinrent graduellement soulager l'oreille. Mme Bayrakdarian ne manque pourtant pas de talent comme interprète : on observe une réelle intensité, du tragique même, dans ce regard et dans ce geste. Mais le timbre détruit tout et, pour comble, on ne comprend à peu près pas un mot de ce qu'elle chante. De quoi regretter la nouvelle politique du Festival, c'est-à-dire absence de textes, comme de notes sur les oeuvres au programme.

Le pianiste, au jeu très nuancé, s'est d'ailleurs révélé un musicien bien supérieur à la chanteuse, exception faite de son «brassage de piano» dans sa propre composition. Pianiste et chanteuse ont parlé en anglais seulement, sans faire le moindre effort pour dire quelques mots en français.