Il restera encore une grande part de mystère entourant la création du nouvel album de la Grande Sophie, et c'est très bien ainsi. De passage à Montréal pour rencontrer la presse, l'auteure, compositrice et interprète parle de La place du fantôme, sixième album studio, comme d'un «exutoire».

Elle arrive tout sourire au rendez-vous fixé, la grande Sophie Huriaux, qui a passé les derniers jours sur les routes de la province pour parler de cet étonnant, excellent, nouvel album, lancé chez elle à la mi-février et trois semaines plus tard chez nous.

La broue dans le toupet, pour reprendre l'expression bien de chez nous, comme c'est son habitude. «C'est vrai que j'ai toujours présenté l'image d'une fille guillerette, tout sourire et pleine d'énergie, concède-t-elle. Sur La place du fantôme, j'ai eu envie de présenter une autre facette de moi-même.»

En ce sens, c'est plutôt réussi. Un véritable ravalement de façade musical, lui fait-on remarquer. Ça commence avec la pochette: gros plan noir et blanc sur son visage, deux regards surimposés, l'un au regard vague, le second, a premier plan, qui nous fixe. Le titre ensuite: La place du fantôme, c'est pas Le porte-bonheur (2001) et la chaleur de ses tons rouges, ou le ciel bleu radieux de Et si c'était moi (2003).

C'est musicalement que le contraste frappe le plus, et ça ne pourrait commencer de façon plus brutale qu'avec Bye Bye, etc. «Déjà, admet-elle, j'y chante avec ma voix de tête, ce que je ne faisais presque jamais avant sur disque.»

Une corde de guitare mal tendue, des cymbales, un tambour sourd, puis une langoureuse rythmique électronique annoncent d'emblée le virage musical. «Bye bye, mon enfance, mes espoirs», entonne-t-elle avec une urgence certaine. On est loin du rock enthousiaste de Du courage ou encore de Martin, classique de son répertoire de chanson pop tonique.

Tout La place du fantôme est sur ce ton - pas forcément tout à l'électro, mais tout sur un ton qu'elle admet volontiers être plus sérieux, mélancolique. Existentialiste, ose-t-on lui faire remarquer. «Je me suis beaucoup questionné eces dernières années...». La Grande Sophie, grande optimiste devant l'Éternel, aborde même la mort, par exemple sur Sucrer les fraises: «S'il y a un moment / Que je ne peux pas prévoir / La fin de la course / Ou l'heure de mon départ...»

«J'ai terriblement peur de vieillir, mais ça, ce n'est pas nouveau», relève-t-elle. C'est qu'on s'inquiète un peu pour elle à l'écoute de ce disque, lui glisse-t-on gentiment. Elle sourit: «Mais je vous assure, je vais très bien.» Entre Des vagues et des ruisseaux (2009), qui, en rétrospective, annonçait déjà une certaine fin de cycle, et ce La place du fantôme, il s'est effectivement passé quelque chose dans la vie de Sophie.

Ça ne peut pas seulement être le passage à la quarantaine, non? «J'ai traversé quelque chose, mais je ne tiens pas à révéler quoi. Je ne tiens pas à donner au public toutes les clés» qui leur permettraient de comprendre l'oeuvre de la même manière que son auteure. «C'est au public de se faire une idée.»

C'est à l'aide des coréalisateurs et musiciens Ludovic Bruni, Vincent Taeger et Vincent Taurelle, trois membres du big band Le Sacre du tympan, spécialisé dans les reprises pop instrumentales, que Sophie a donné les contours électro-pop des suaves chansons de son nouvel album. «Des pros des claviers électroniques», insiste-t-elle, dont elle avait besoin pour insuffler une nouvelle vie à ses maquettes. «Je ne me suis pas précisément inspirée d'un genre ou d'un artiste en particulier pour faire mon nouvel album. J'avais seulement cette direction en tête, des idées, qu'ils sont parvenus à traduire» en arrangements tantôt sobres, tantôt lugubrement groovy. Une vraie réussite.

«Ça me donne l'occasion de revisiter mon répertoire dans le ton du nouvel album», s'emballe la musicienne, qui a déjà amorcé la tournée française pour La place du fantôme. Elle sera de retour au Québec l'automne prochain; sa participation au Coup de coeur francophone, en novembre, est déjà confirmée.