Badiâa Bouhrizi, alias Neyssatou, fut interdite en Tunisie pour ses textes farouchement opposés au régime autoritaire en place et à l'existence qu'on devait y mener dans ce contexte. Vu le mouvement de révolte populaire en 2011 et la chute du gouvernement Ben Ali à la clé, l'auteure-compositrice-interprète est devenue une des figures les plus remarquées du renouveau culturel dans son pays natal.

L'an dernier, Neyssatou a remporté le Prix de la chanson alternative arabe (pour le titre Ila Selma) ainsi que la bourse Mawred Thaqafi  qui lui a permis de financer l'autoproduction d'un premier album en Tunisie - et dont la sortie est imminente.

Sa carrière d'auteure-compositrice-interprète est définitivement lancée, la voilà qui s'amène au Québec dans le cadre des Journées de la Tunisie nouvelle. Devant le public montréalais, elle interprétera son répertoire de concert avec les musiciens du groupe local Labess - qui compte plusieurs membres d'origine nord-africaine.

Âgée de 32 ans, la chanteuse partage sa vie entre l'Europe et l'Afrique du Nord. Depuis 2003, elle a étudié et résidé en France avant de s'établir à Londres. Elle y chante au sein du groupe Awalé, octuor de styles afrobeat et afrojazz, en plus d'y faire évoluer sa carrière solo.

« Lorsque je vivais à Paris, raconte-t-elle, je revenais régulièrement en Tunisie pour y chanter,  même si mes premiers textes étaient les plus radicaux. Vers 2008, c'est devenu très difficile, voire impossible pour moi, d'y présenter mes spectacles. Or, c'est précisément durant cette période que ma musique a commencé à vraiment circuler sur l'internet. C'était une période de prérévolution, je dirais.

« Dès lors, il y avait un élan. Il fallait arrêter de se plaindre, il fallait essayer de changer les choses pour de vrai. Il y avait en ce sens une rupture par rapport à la génération précédente. La mienne trouvait que les plus âgés faisaient des compromis là où il ne fallait pas en faire. Ils préféraient rester clandestins sans prétendre être l'opposition et passer pour des pleurnichards. Maintenant, on se rend compte que cette opposition tranquille, peu virulente, fut très importante pour ce qui s'ensuivit.

« À partir du 30 décembre 2010, les gens ont compris qu'ils pouvaient chasser les flics et ainsi se débarrasser du régime Ben Ali. Moi je suis rentrée le 16 janvier 2011. Depuis, je passe beaucoup de temps en Tunisie même si je continue à chanter au sein de mon groupe londonien.»

Depuis la révolution, Neyssatou avoue n'avoir écrit qu'une seule nouvelle chanson; elle y émet des doutes face à la montée des islamistes dans son pays.

« Ils nous disent qu'Allah et non le peuple a fait cette révolution. Ah bon? Je n'accepterai jamais qu'on me serve une telle affirmation ! Je suis laïque comme la majorité des Tunisiens - environ 60% n'ont pas voté pour eux ! Les islamistes sont loin de représenter la majorité, mais cette force politique avait alors plus d'argent lors des élections,  elle disposait d'une vraie machine électorale. On se reprendra! Du coup, je suis assez optimiste pour l'avenir. »

Et l'avenir n'est pas que tunisien pour Neyssatou.

« Mes thèmes sont très variés, mon engagement n'est pas que politique. Pour moi, une artiste doit s'engager à illustrer la beauté. Mon engagement s'oppose ainsi à la médiocrité sous toutes ses formes. Musicalement? Je ne suis pas strictement dans la musique nord-africaine. Je n'ai pas de complexes, je suis de tous les pays.  En étudiant la musicologie, j'ai réalisé que les sons n'avaient jamais cessé de circuler sur terre. La culture n'est pas sédentaire, que l'on considère d'ailleurs comme la musique authentiquement tunisienne est aussi le résultat d'un mélange. Personnellement, j'ai été surtout marquée par l'art des femmes : Kamilya Jubran,  Oum Kalsoum, Björk, Oumou Sangaré... Je dirais en outre que la fusion qui intéresse est minimaliste; on y trouve des éléments électroniques, électriques, folk. C'est ma schizophrénie et je l'accepte! »

Neyssatou se produit ce vendredi, 20h, au Cabaret du Mile-End.