Déséquilibré par le départ d'un des siens, Mes aïeux a saisi l'occasion de réinventer son identité à travers le folk raffiné. Les rénovations sont réussies.

Le vaste espace où sont attablés les cinq membres de Mes aïeux est baigné d'un soleil généreux. Un peu en retrait, l'oeil est accroché par un haut mur de végétation au bas duquel, en tendant l'oreille, on perçoit un bruissement d'eau qui s'écoule. On se croirait en pleine nature si l'immense baie vitrée ne donnait pas à l'angle des rues Saint-Urbain et Sainte-Catherine.

Ici, à la toute nouvelle Maison du développement durable, Stéphane Archambault, Marie-Hélène Fortin, Frédéric Giroux, Benoît Archambault et Marc-André Paquet sont un peu chez eux. Mes aïeux a accepté il y a près de trois ans d'être ambassadeur de ce projet qui prêche par l'exemple (l'immeuble commercial vise la certification LEED platine) et entend devenir un centre de référence pour les citoyens en matière de constructions écologiques.

«C'est une maison qui, en principe, doit appartenir à tous», commence Stéphane Archambault. Il n'a pas le temps de terminer son explication que ses collègues se mêlent à la discussion, qui se poursuit dans un sympathique désordre. Ce genre de fouillis s'est reproduit plus d'une fois au cours de l'entretien. Preuve que, si le chanteur demeure le visage le plus connu du groupe, on a vraiment affaire à un collectif.

L'association avec la Maison du développement durable tombe sous le sens pour Mes aïeux. Sa fibre sociale, le groupe l'a toujours affichée, en entrevue comme dans ses chansons. Mais c'est peut-être plus vrai que jamais sur À l'aube du printemps, à paraître mardi.

«Développement durable, souci des générations futures, ces questions-là sont présentes dans le disque», souligne avec justesse Marie-Hélène Fortin. Stéphane Archambault, son compagnon de vie, acquiesce et ajoute: «Comment faire pour durer en tant que couple, culture, collectivité et espèce?»

Un vide à combler

Rien n'est plus cliché que de dire d'un album qu'il est «mûr». Ou «mature», comme le disent les Anglais. Le terme résume toutefois assez bien l'esprit des chansons rassemblées sur À l'aube du printemps, où le quintette s'interroge sur notre devenir collectif et nos trajectoires individuelles, à travers des pièces où pointe de l'angoisse, mais aussi de l'espoir.

«On a tous eu des épreuves individuelles à traverser entre La ligne orange et ce disque-là», explique le chanteur principal du groupe. De la maladie dans les familles des uns et des autres. «Disons qu'on a côtoyé la mort de plus près, ajoute-t-il, pudiquement. Ça soulève des questions.»

Mes aïeux a aussi perdu un membre, après 15 années passées au sein du groupe, le guitariste et compositeur Éric Desranleau. Ce grand fan de Zappa a en effet choisi de se consacrer à l'improvisation avec son nouvel ensemble, Wonder Trois Quatre. Ébranlé par ce départ, le groupe a vécu une période de remise en question. Il s'est interrogé sur sa propre pertinence et même celle de poursuivre l'aventure.

La bande ne le cache pas: le moteur tournait carré, quand le travail a repris. L'absence d'Éric Desranleau avait créé un vide. Qu'il fallait combler. «On a eu à se demander ce qu'on faisait avec cet espace-là. Chacun en a pris un petit bout», résume Benoît Archambault.

Histoire de peur, qui rappelle l'épisode du code de vie de Hérouxville et l'air du temps de la commission Bouchard-Taylor, est la seule chanson du nouveau disque qui sonne comme du Mes aïeux «classique»: ton épique, guitare électrique et une énergie dans la veine de Dans la capitale ou Train de vie.

Plus folk, plus fin

L'univers de Mes aïeux a toujours été convivial. Son nouvel album paraît néanmoins encore plus accueillant que les précédents. Pour en résumer l'esprit, on pourrait dire qu'il est plus folk et laisse une plus grande place aux arrangements de cordes et au piano. La tendance «déconstructiviste» et progressive est partie avec Éric Desranleau.

Stéphane Archambault affirme que le quintette a été motivé par l'envie de se dépasser dans le raffinement. Percussions, cuivres, clavecin, À l'aube du printemps mise sur des orchestrations d'une grande variété qui place le disque dans la foulée de La ligne orange. «Il y a plus de recherche sur ce disque-là», juge Frédéric Giroux.

«On est un groupe qui parle beaucoup, fait remarquer Marc-André Paquet. Avant, quand quelqu'un avait une idée, elle avortait parfois avant même qu'on l'ait essayée.» Pour ce cinquième disque studio, le groupe a changé d'attitude et s'est donné le temps d'essayer les propositions des uns et des autres.

«On est allés au bout de nos idées, tant dans le grandiose que dans la simplicité, précise Benoît Archambault. On ne se serait pas permis auparavant de faire une chanson seulement piano-voix.»

Son frère Stéphane avoue même qu'À l'aube du printemps lui semble «moins calculé» que ses prédécesseurs. «Il y a une couleur naturelle qui a émergé sans qu'on se dise que ce serait le fun que l'album sonne comme ci ou comme ça», expose-t-il. Conséquence: l'influence trad, qui fut l'une des marques de commerce du groupe, est désormais moins présente.

Mes aïeux ne se renie pas pour autant. «On s'est rendu compte que ce n'est plus ce qui nous définit, que si on est assez en confiance avec ce qu'on fait et qu'on n'utilise pas cette contrainte folklorique, on est quand même intrinsèquement Mes aïeux.»

Passé? Dépassé?

Il a raison. Mes aïeux ne se résume pas à un reel ou un bout de chanson folklorique intégrés dans une chanson pop ou rock. C'est plutôt un état d'esprit - collectif, forcément -, un son marqué par des harmonies vocales et une vision du monde qui dépasse les drames personnels étalés par tant d'artisans de la chanson qui ont mal compris le principe selon lequel il faut être personnel pour être universel.

«On s'est donné un mandat de mémoire par rapport au Québec. Nos chansons sont liées au Québec et à sa culture», rappelle Stéphane Archambault. Pour cette raison, certains jugent Mes aïeux passéiste. Or, ses préoccupations, en particulier sur À l'aube du printemps, ne pourraient être plus actuelles.

Le son de l'album évoque souvent les années 70, il faut en convenir. Mais on ne peut reprocher au groupe de vivre dans le passé lorsqu'il  remet en question la frénésie consumériste (Passé dépassé), notre tendance à nous déresponsabiliser sur le dos de quelqu'un ou quelque chose d'autre (La Stakose) ou fait écho à l'éternel déchirement identitaire québécois (Le fil).

Se questionner sur l'état du monde n'est pas une posture chez Mes aïeux. En une petite heure, ses membres parlent beaucoup musique, mais aussi d'exploitation des ressources naturelles (on salue le Plan Nord), de cohésion sociale et de la souveraineté du Québec (thème métaphoriquement très présent sur le récent disque), à laquelle «on va peut-être revenir comme une conclusion et non comme un but», selon Stéphane Archambault.

À l'autre bout du pont, malgré les questions et les angoisses, il y a le printemps du titre de l'album, c'est-à-dire l'espoir. «Mon printemps, c'est une reprise de conscience de la force du collectif, affirme Stéphane Archambault qui, cette fois, n'est pas contredit pas ses amis. Je crois qu'on a perdu foi en notre puissance collective au Québec. Il faut qu'on reprenne tranquillement les rênes de notre destinée.»