De 2005 à 2009, Bruce Springsteen a lancé quatre albums dont le dernier, le très pop Working on a Dream, était en décalage avec la crise économique dans laquelle son pays s'enlisait. Trois ans plus tard, le Boss refait surface avec un album qui s'attaque à la trahison du rêve américain. On y retrouve le Springsteen prédicateur, le folkie héritier des Guthrie et Seeger et le rocker que l'on connaît bien. Avec différents collaborateurs et des membres du E Street Band dont le regretté saxophoniste Clarence Clemons, Springsteen revisite à peu près tous les styles qu'il a touchés en y ajoutant des boucles rythmiques, des échantillonnages et même un rap. Ce disque à la fois étonnant et familier trouve sa cohérence dans son ton pamphlétaire et la personnalité forte de son auteur. Voici donc nos impressions de Wrecking Ball, chanson par chanson.

WE TAKE CARE OF OUR OWN

L'une des rares chansons du disque faites sur mesure pour le E Street Band... qui n'y joue pourtant pas. Un hymne rock en crescendo qui dénonce la trahison, l'indifférence et la démission et dans lequel le Boss joue avec un symbole patriotique qui a teinté son propos d'ambiguïté à l'époque de Born in the U.S.A.: le drapeau américain.

EASY MONEY

Sur une musique country nourrie au violon et à la voix traînante de Springsteen mais lancée par un rythme hip-hop, un couple prend un fusil pour aller «faire une passe» d'argent au mépris des «gras durs» de la société. Le Boss hurle à la lune pendant que le choeur gospel fait na-na-na. Du Nebraska à la sauce country.

SHACKLED AND DRAWN

Un folk-gospel qui aurait eu sa place sur les Seeger Sessions de 2006 et qui se termine par la harangue de Lyn Collins, repiquée d'un 45 tours de 1972 de cette collaboratrice de James Brown. Sur le thème du travailleur qui sue sang et eau pendant que le banquier fait la fête.

JACK OF ALL TRADES

Un slow classique mettant en scène un homme à tout faire croyant, docile, responsable mais de plus en plus fataliste et dont la rage et la frustration s'apprêtent à exploser. D'une voix neutre mais menaçante, Springsteen lâche le morceau: «If I had me a gun, I'd find the bastards and shoot'em on sight.» La guitare s'insinue alors, puis explose dans un solo lyrique. Poignant.

DEATH TO MY HOMETOWN

Un hymne folklorique qu'on jurerait sorti tout droit du XIXe siècle, mais dans lequel les victimes sont celles d'une crise plus contemporaine. Springsteen l'éponge s'approprie le côté dénonciateur du folk qu'il a apprivoisé sur les Seeger Sessions et y ajoute un échantillonnage d'une chorale de l'Alabama des années 50. L'effet est saisissant.

THIS DEPRESSION

Une ballade rock convenue et répétitive malgré une fort belle envolée de la guitare atmosphérique de Tom Morello (Rage Against the Machine) sur fond de bidouillage électronique. La dépression sous toutes ses formes.

WRECKING BALL

Attention, virage: après le cauchemar, la riposte et l'espoir de rédemption. La «Face B» de Wrecking Ball commence par la chanson-titre, écrite en 2009 pour la démolition du Giants Stadium mais qui prend ici un tout autre sens: les temps difficiles sont loin d'être terminés, mais ne cédons pas à la colère et à la crainte, chante Springsteen. Une musique énergique et des choeurs rassembleurs, gracieuseté de plusieurs membres du E Street Band, dont le regretté Clarence Clemons, mais c'est la trompette de Curt Ramm qui emporte la mise.

YOU'VE GOT IT

Une chanson pop-rock irrésistible. On jurerait entendre le jeune Springsteen des années 70 qui chante l'amour et le désir. Un intermède inattendu. Et fort bienvenu.

ROCKY GROUND

La plus étonnante de ces 11 chansons qui commence par l'échantillonnage d'un hymne gospel d'une autre époque et se termine sur le rap de la chanteuse Michelle Moore. Un texte qui puise abondamment dans l'imagerie biblique, y compris les vendeurs du temple, sur une musique apaisante.

LAND OF HOPE AND DREAMS

Les fans du Boss connaissent cet hymne rassembleur qu'il joue depuis sa tournée de retrouvailles avec le E Street Band en 1999. Springsteen y cite toujours People Get Ready de Curtis Mayfield, appuyé cette fois par une chorale gospel. Comme son titre l'indique, cette chanson agit comme un baume et elle émeut encore plus quand on entend le solo de saxophone du «Big Man», Clarence Clemons.

WE ARE ALIVE

Pour boucler la boucle, une note d'espoir sur une musique qui n'aurait pas détonné dans une télésérie western des années 50. Un appel à la solidarité, à la résistance et à l'espoir lancé par des victimes de toutes les époques, du travailleur des chemins de fer de 1877 à l'immigrant illégal du XXIe siècle, en passant par le militant des droits civiques de Birmingham en 1963.

Wrecking Ball, de Bruce Springateen. Columbia/Sony. En magasin mardi.

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