Leonard Cohen a fait appel à quatre réalisateurs pour Old Ideas, mais Patrick Leonard est le seul à avoir signé avec le poète les quatre chansons qu'il a réalisées. «Je n'aime pas collaborer, m'a expliqué Cohen le soir de la séance d'écoute à Los Angeles. Avec Sharon Robinson, si, mais avec Phil (Spector), ça ne s'est pas très bien passé. J'ai échangé des idées avec Patrick Leonard et il n'y a pas eu de conflit d'ego. Patrick est un musicien majeur. Il a travaillé avec Madonna, mais on l'a un peu oublié aujourd'hui. J'espère que mon album va lui redonner de la visibilité.»

C'est par l'entremise d'Adam Cohen, dont il a réalisé le récent album Like a Man, que Patrick Leonard a fait la connaissance de Cohen père. «Mes chansons préférées sur l'album, outre celle qu'il fait à la guitare acoustique, sont sans aucun doute celles qu'il a écrites avec Pat, dit le fils Cohen. Je les trouve plus inventives, plus naturelles, elles ont la fraîcheur de ses vieux disques. Et entre les mains d'un expert comme Pat Leonard, l'enregistrement de la voix est beaucoup plus convaincant, profond et évocateur.»

Cette voix de baryton à nulle autre pareille que Patrick Leonard a placée au premier plan et qui donne parfois l'impression de nous chuchoter quelque chose à l'oreille est essentielle pour Adam. Pour son père aussi qui lui a déjà dit: "Si ta voix n'est pas très présente, c'est que tu te caches".»

Cohen et lui se sont apprivoisés progressivement, raconte Patrick Leonard avec un gros sourire dans la voix: «Il y a deux ou trois ans, on a fait connaissance autour d'un sandwich au thon dans un petit déli où Leonard a ses habitudes. Un an et demi plus tard, Adam m'a demandé de faire un arrangement de cordes pour une chanson de son père qui ne s'est pas retrouvée sur l'album. Leonard l'a beaucoup aimé. Il m'a invité chez lui pour en parler et m'a laissé des textes pour que j'en fasse des chansons, dont celui de Show Me The Place

Patrick Leonard me fait entendre au téléphone la piste de piano de Show Me The Place. «Leonard l'a chantée plusieurs fois avant de me dire qu'il voulait réentendre la toute première prise. Évidemment, il avait raison: son énergie, son enthousiasme y sont palpables et on peut entendre sur le disque certains bruits typiques d'une première prise. Ce n'est pas surtravaillé.»

Patrick Leonard n'oubliera pas de sitôt l'enregistrement de la chanson sexy-jazzée Anyhow dans la pièce arrière de la maison de Cohen: «Je me mordais pour ne pas pouffer de rire et quand vers la fin il a dit «I'm naked and I'm filthy», j'ai craqué. Après coup, on en a ri tous les deux un bon moment.» Mais il est surtout fier de Going Home, un poème que Cohen lui a remis en lui disant qu'il ne voyait pas comment en tirer une chanson. «Je lui ai dit: laisse-moi essayer. J'ai composé la musique le lendemain à la maison et il m'a offert de couper le deuxième couplet qui était plus long que le premier. J'ai refusé. Ce deuxième couplet a une forme musicale très inhabituelle... et amusante.»

Croit-il que Old Ideas peut lui ouvrir des portes comme le souhaite Leonard Cohen? «Ça me touche que Leonard dise ça, mais il n'y a pas tant de disques que j'aimerais réaliser et je préfère me consacrer à ma propre musique. Le premier véritable album complet que j'ai réalisé fut True Blue de Madonna dont j'ai écrit avec elle la plupart des chansons. Ça commençait au pas de course! J'ai travaillé avec d'autres artistes de Warner Brothers pendant 10 ou 15 ans (Bryan Ferry, Rod Stewart, Fleetwood Mac...) ainsi qu'avec Roger Waters. Puis il y a eu la fusion avec Dreamworks et la business a changé. Où veux-tu aller après Leonard Cohen? C'est un cadeau incroyable! J'ai fait entendre Show Me The Place à un certain nombre de personnes et j'ai vu des jeunes femmes aussi bien que des chefs amérindiens se mettre à pleurer sans trop savoir pourquoi.»