Un groupe vient à connaître un succès trop important pour le Métropolis, soit le plus gros club montréalais consacré à la musique vivante. Où doit-il se produire? Nul autre choix que le Centre Bell en configuration réduite. Vendredi soir, c'était au tour de The National à mesurer les propriétés d'un aréna transformé en théâtre pour les 4569 détenteurs de billets venus à sa rencontre.

Pour la plupart, ces bonnes gens estiment que High Violet, cinquième opus de la formation américaine, fut l'un des plus beaux de l'année 2010. Une apparition au festival Osheaga, c'est-à-dire dans un tourbillon de groupes indies, n'a certes pas suffi à les rassasier. Seize mois plus tard, le souhait était exaucé: spectacle complet avec éléments visuels appropriés... et membres d'Arcade Fire à l'appui! Souhait exaucé? Hmmm... oui, mais pas un gros oui. Le Centre Bell en formule réduite, ce n'est vraiment pas l'idéal pour The National, encore moins pour la très douée Neko Case et... qui l'a précédé vendredi - ainsi que Wye Oak. Mais bon, fallait faire avec...

Après une performance honnête de la douée Miss Case et présentée dans la relative indifférence et le bourdonnement des conversations (un peu de respect pour les artistes!), The National s'est déplacé des loges à la scène, le tout filmé en direct. Traitement assez subtil de la caméra, à l'image de cet excellent groupe mené par le non moins excellent songwriter Matt Berninger.

Avec The National, tout est essentiellement question que de cohésion, de travail d'équipe. Le chanteur a beau choisir de crier au lieu de batytonner comme il le fait généralement, il a beau maltraiter son pied de micro afin de surprendre son auditoire attentif, il a beau prendre une marche sur la scène ou même traverser le parterre ou escalader les gradins, on en retient d'abord la chanson. Surgie de l'imaginaire d'un songwriter qu'on ne peut aucunement qualifier de bête de scène.

Alors? Nous aurons droit à des chansons de grande qualité, tirées de l'ensemble du répertoire de The National .

Runaway en intro, le groupe passe la première vitesse, avec guitares et cuivres. Anyone's Ghost et Mistaken For Strangers, plus rock de facture, permet à l'engin de passer la deuxième vitesse. Devant des images jaunes et orangées, sept artistes sur scène passent la troisième: Bloodbuzz Ohio, dont le titre rappelle l'État d'où proviennent les protagonistes de l'action.

Puis c'est Slow Show, mélodies poignantes couchées sur un lit de friture guitaristique, mise en relief de la batterie, finale de cuivres (trompette et trombone). Hausse du ton avec Squalor Victoria. Matt passe la cinquième et atteint la vitesse de croisière. Des formes jaunes et verdâtres sont projetées derrière, The National se montre plus intense dans l'interprétation de la magnifique Afraid of Everyone. Végétaux suspects, mousses étranges et gueules ombragées apparaissent sur l'écran géant pendant qu'on balance Conversation 16. On se dit que l'équilibre de la sono entre guitares et cuivres pourrait être meilleur...

C'est noir, c'est blanc, c'est bleu, c'est le moment de Son: You wait one turn to sunlight / That's falling on a girl / You're still outside the world / She's reading books from empty women / They're givin beauty tips from empty hips...  S'ensuit un autre très beau texte,  celui de The Geese of Beverly Road; We'll take ourselves out in the street / And wear the blood in our cheeks...

Et re-folk rock avec Start A War; walk away now and you're gonna start a war, dit le narrateur à celle qui en a marre. Et à côté duquel s'exprime un autre chanteur: Win Butler, rien de moins, issu d'un «little local band» aux dires de son hôte pour le moins culotté. «Give 'em a shot», en remet-il, sourire en coin.

Puis c'est Abel, prénom biblique vu sous un autre angle par Berninger, derrière lequel apparaît l'immense visage paniqué d'une femme. On se retrouve en terrain connu, de multiples couches de distorsion permettent le déploiement de Sorrow, une des plus réussies de High Violet. Et on se trouve en terrain inconnu: I Need My Girl, inédite au programme. «Métaphore pour rencontrer une fille», résume son auteur à la blague.

Avant d'interpréter England et Fake Empire, Mat Berninger remercie ses amis de Montréal... Devinez qui! Richard Reed Parry, un autre pote d'Arcade Fire, sera mis à contribution comme il l'a d'ailleurs été dans High Violet.

Au rappel, l'incontournable Terrible Love sera pour le chanteur l'occasion d'un frénétique bain de foule, après quoi The National abandonnera toute amplification et fera appel à ses amis du «little local band» et aux 4569 fans présents afin de chanter a cappella Vanderlyle Crybaby Geeks. Bonne idée au finish, dans un lieu où l'intimité, plus souvent qu'autrement, est une vue de l'esprit.