Pour son premier album, Lulu Gainsbourg a voulu rendre hommage à feu Serge Gainsbourg. Dans cette optique, il s'est adjoint une constellation d'étoiles afin de jeter un nouvel éclairage sur les classiques du paternel: Iggy Pop, Marianne Faithfull, ShaneMcGowan, Scarlett Johansson, Rufus Wainwright, Matthieu Chedid,Vanessa Paradis, Johnny Depp, Ayo, Angelo Debarre et autres RichardBona ont accepté l'invitation du jeune musicien. Tremplin ou piège? De passage à Montréal, Lulu défend sa démarche.

«Ce qui m'a motivé, c'est l'amour d'un fils pour son père«, tranche-t-il calmement, attablé au Gainzbar de la rue St-Hubert -vachement concept!

Amour du père?  À n'en point douter mais... lorsque papa Serge a joint une autre dimension, soit en 1991, fiston Lulu avait cinq ans.

«J'en garde des souvenirs mais bon, de là à tout avoir, ce n'est pas facile«, admet le jeune homme. Plus  grand et plus costaud que son père, fort différent malgré quelques traits de famille et quelques fréquences de la voix parlée. Notre interlocuteur s'avère poli, courtois. Les réparties sont succinctes,  respirent l'honnêteté et la force tranquille.

Fils de Serge et Bambou, demi-frère de Charlotte avec qui il dit avoir de bonnes relations, idem pour Jane Birkin qu'il est allé saluer jeudi au Métropolis («On  ne se voit pas tous les jours mais on se donne régulièrement des nouvelles»),  Lulu a dû composer avec le monument de la chanson et de la pop que fut et demeure son père. Qui plus est, l'un des très rares à avoir débordé le cadre de la francophonie.

-Ne portez-vous pas cet héritage sur vos épaules depuis votre naissance?

-Oui, c'est vrai.

-Ça vous pèse?

-Ben... faut assumer! Oui, c'est lourd à porter mais... en même temps, il y a des avantages. Sans ce nom, je n'aurais pu avoir cette liste d'invités pour un premier album. Cela étant, il fallait savoir les diriger, savoir où aller avec eux.

On le sait, la lignée artistique n'a pas d'assises aussi solides que la lignée économique. Elle permet de susciter l'intérêt du public et des médias, après quoi, le descendant finit par n'être redevable que de lui-même. Lulu Gainsbourg en est parfaitement conscient.

Son parcours, d'ailleurs, est celui d'un artiste qui ne s'est pas tenu pour acquis. Pianiste depuis l'âge de quatre ans, il a reçu  une formation classique dans un conservatoire parisien, puis envisagé faire carrière dans le jeu vidéo pour finalement reconfirmer sa propension à la carrière de musicien. Un an à Londres, puis quatre à Boston où il a complété ses études à la prestigieuse Berklee School of Music.

«J'y étudié un peu de tout. Le piano jazz, les arrangements, les musiques de films, etc. J'ai terminé en mai dernier. J'ai eu de bons profs. Quatre ans. Tu rencontres beaucoup de gens. Tu décides de monter un groupe... Ou encore tu rencontres l'ingénieur du son de ton premier album -Jerémy Loucas.«

Lulu Gainsbourg n'est pas rentré à Paris au terme de ses études américaines. De Boston, il a migré vers New York, là où il a entre autres enregistré From Gainsbourg to Lulu et sa brochette de célébrissimes invités.

«Au départ, je ne connaissais que Johnny (Depp) et Vanessa (Paradis). J'ai dû concacter chacun. J'ai aussi essuyé des refus... David Bowie a dit non, Stevie Wonder n'a pas répondu, Jamiroquai était en tournée, idem pour Herbie Hancock ou Bobby McFerrin. Bono avait dit oui et, finalement, n'a pas pu. J'ai quand même une super sélection! Tous ont vraiment collaboré et se sont dits honorés de participer à ce projet. Franchement, j'ai travaillé dans une très bonne ambiance.»

On comprendra que Lulu dit ne pas avoir de préférences parmi ces seize relectures.

«Chaque artiste avait une histoire à raconter. À chacun j'ai dit de chanter dans le style qui lui est propre. Marianne Faithfull, qui avait déjà bossé avec mon père, a tenté de se rapprocher de son interprétation, j'ai dû la rediriger. Pareil pour Vanessa. Et quand Iggy Pop s'exprime, ce n'est pas Gainsbourg.«

On comprendra également que Lulu a choisi les plus grands classiques du paternel; Je suis venu te dire que je m'en vais, interprété par Rufus Wainwright, Bonnie & Clyde en tandem avec Scarlett Johansson ou Ne dis rien avec Mélanie Thierry, Manon par Marianne Faithfull, La Javanaise par le superbassiste et chanteur Richard Bona, Couleur Café et Requiem pour un con de concert avec Matthieu Chedid (M), Ballade de Melody Nelson avec Johnny et Vanessa, Sous le soleil exactement avec Shane McGowan (des Pogues) ou encore Le poinçonneur des lilas en mode jazz manouche, joué par l'ensemble du guitariste Angelo Debarre, on en passe... Rock, funk, jazz instrumental, rock, pop classique,  musiques cubaine, africaine ou brésilienne: la palette stylistique est vaste, ce que corroborre le principal intéressé : «J'aime beaucoup voyager... et j'ai eu envie de faire voyager l'auditeur.«

Quelques extraits récits de chantier sont cités

«La version de Bonnie & Clyde de mon père (avec Bardot) est plus autoritaire que la mienne;  je suis allé davantage dans le sensible. Au couple de gangsters, j'ai préféré mettre l'accent sur leur relation amoureuse.«

«Pour Sous le soleil exactement et Melody Nelson, Johnny Depp a joué batterie, basse et guitares. Très bon instrumentiste, d'esprit rock. Il était d'ailleurs musicien avant d'être acteur -et faisait les premières parties d'Iggy Pop, d'ailleurs.

«Avec Richard Bona, nous avons osé un arrangement cubain sur lequel il a mis sa touche personnelle, soit en créant un chorus africain sur La Javanaise.

«Dans Je suis venu te dire que je m'en vais, c'est Rufus qui chante et c'est moi qui suis au piano, auquel j'ai adjoint un quatuor à cordes.«

«Pour Bonnie & Clyde et L'eau à la bouche, ont joué des musiciens de Lou Reed dont certains ont accompagné mon père.

«Après avoir fait Requiem pour un con et Couleur café, je suis devenu très ami avec Matthieu Chedid.»

Et le jazz moderne? Parti pris? En témoignent les versions instrumentales de Black Trombone et Intoxicated Man, qui mettent en relief le pianiste Gil Goldstein, le contrebassiste James Genus, la batteure Terri Lyne Carrington, pour ne citer que ceux-là. «Mon père adorait le jazz, et j'aime tout autrant. Surtout les années 60 et 70, Miles Davis, Herbie Hancock, Jaco Pastorius, etc.«

En tant qu'interprète, Lulu Gainsbourg convient avoir joué un rôle de second plan. «Ma voix n'est pas au top, convient-il, mais on reconnaîtra que la musique tient la route. Les connaisseurs vont se dire qu'il y a eu du boulot, sur la production, sur les arrangements. On a bien bossé.«

«En somme, résume-t-il, j'ai joué un rôle de directeur artistique : choisir et orienter les interprètes, réaliser, arranger. Jouer parfois, chanter parfois, m'impliquer à fond dans la production. L'interprète entendait les pistes de bases, j'enregistrais, après quoi je construisais les arrangements.«

From Gainsbourg to Lulu, donc.

Que faire ensuite,  Lulu Gainsbourg? Il hausse les épaules.

«Je suis musicien, je ne suis pas vraiment chanteur, je devrai me concentrer sur un prochain album. Compositions, titres personnels... je ne sais pas encore s'il y aura des chansons et si je chanterai. Je sais aussi que j'ai une énorme passion pour les musiques de films. On verra...«

From Gainsbourg to Lulu, l'album de Lulu Gainsbourg est sous étiquette Fontana/Mercury/Universal.