Si son premier album, Silence, a presque été un accident dans le parcours de Fred Pellerin, le p'tit nouveau, C'est un monde, qu'il lancera mardi, jour de son 35e anniversaire de naissance, en est la suite logique, tout à fait assumée. Rencontre avec un monsieur fort occupé.

Silence se situait dans le prolongement des spectacles du conteur de Saint-Élie-de-Caxton, avec ses reprises de Vigneault, Reggiani et autres Félix. C'est un monde ne compte que des chansons inédites. L'auteur-compositeur en lui a vraiment gagné en confiance. Sur Silence, il avait gravé les trois seules chansons qu'il avait écrites en trente et quelque années d'existence; cette fois, il en signe quatre et en met deux autres en musique.

Pellerin acquiesce: «Mille après mille, une reprise, a été la chanson la plus téléchargée de l'album, mais la deuxième, c'était ma chanson Silence. Une porte s'est ouverte. Et après avoir fait le show pendant un mois, mine de rien, mon cerveau pensait un peu plus en chanson, il trouvait un peu plus de manière de calculer des vers, lui qui pense en conte tout le temps.»

Le show en question, Saint-Élie-de-chansons, n'a été donné que 16 fois au total, à Saint-Élie même. D'où la surprise, non feinte, de Fred Pellerin quand il a reçu le Félix du spectacle de l'année, catégorie interprète, fin octobre. «J'étais vraiment content, dit-il. Le vote sur la qualité du spectacle y a été pour beaucoup parce que ce n'est pas pour les ventes de billets qu'on l'a eu.»

Ce premier spectacle de chansons était né lui aussi un peu par accident. Après avoir affirmé qu'il n'en était pas question, Pellerin a annoncé à Tout le monde en parle qu'il ferait un show de chansons à Saint-Élie. Double difficulté: greffer une douzaine de chansons nouvelles à celles de Silence et se préparer à monter sur scène dans la peau d'un chanteur.

«Au lancement [de Silence], ça m'avait tout pris pour faire mes cinq tounes, se souvient Pellerin. Chanter Mommy droit devant le monde... Mais Jeannot (Bournival, son réalisateur et complice musical) avait monté les répétitions et les chansons où je butais émotivement, on se les passait en thérapie. Même sur le nouveau disque, ça m'a tout pris pour chanter Il faut que tu saches

De Paris à Saint-Élie

C'est un monde est né lors d'un séjour à Paris où Pellerin se produisait à L'Européen, à l'automne 2010. Après ses spectacles, il retrouvait Bournival dans son appartement converti en studio pour travailler aux chansons qui seraient du show de l'été suivant. «On cannait la nuit, de minuit à 4h», se souvient Pellerin. Après trois semaines, le duo avait 19 chansons en banque, tant et si bien qu'il a fallu créer le dossier «album 3» pour y déposer celles qu'ils avaient de trop.

Cette fois, Pellerin avait vraiment la volonté d'en faire un album: l'hésitation, les craintes qui avaient accompagné la création de Silence était disparues. «Je me sens bien là-dedans», dit-il spontanément. Mais pas question pour autant d'un deuxième show de chansons parce que Pellerin entreprendra en janvier l'écriture de son prochain spectacle de contes qui sera créé en septembre 2012. Un spectacle inspiré par le personnage de Méo le coiffeur dont l'interprète René Richard Cyr joue un rôle de premier plan dans le film à venir Ésimésac, en plus de mettre en scène le spectacle de Pellerin avec l'OSM et de signer le texte d'Il faut que tu saches, l'une des chansons les plus fortes du nouvel album, celle qui se rapproche le plus du rock, par son rythme et sa guitare.

C'est un monde ratisse large, depuis la chanson grivoise Relish jusqu'au conte à saveur western Roland, en passant par Petite misère, signée Pellerin, que pourrait chanter Cabrel et dans laquelle l'auteur voit une ressemblance avec les personnages «aux yeux cernés» du cinéaste Tim Burton. Sans oublier la chanson traditionnelle La complainte du Saint-Maurice sur le thème connu du mari parti au chantier.

«Le fait de partir, de vouloir revenir, c'est assez récurrent dans Rentrer chez nous, Y en a qui partent et même C'est un monde, quelque part où on pourrait aller mais où on ne va pas. Je chante Rentrer chez nous en rappel en France. Quand ça fait huit jours que je suis parti, je pense à mes enfants et il y a une charge quand je chante ça», reconnaît le resteux de nature qui revient tout juste d'une tournée de spectacles dans l'Hexagone et qui tiendra l'affiche trois soirs à l'Alhambra de Paris début décembre.

La chanson fédératrice

La Mère-Chanson, qui boucle l'album, est une sorte d'hymne à la chanson qui a accompagné l'histoire de notre peuple et qui «nous réveillera sur un air d'espérance». Ça se termine de façon poignante sur une envolée du «choeur de l'armée brune» dans lequel Pellerin a insisté pour que sa voix se perde. C'est sa chanson préférée qui a bien failli être écartée jusqu'à ce que Bournival lui donne son souffle «avec les cordes, les temps suspendus et les percussions».

La chanson comme outil fédérateur, c'est ce dont parlait encore Fred Pellerin quelques jours avant le gala de l'ADISQ où son hommage senti à Gilles Vigneault en a ému plus d'un. Au beau milieu d'un automne au cours duquel on lui a demandé de parler de l'impact d'Yvon Deschamps sur la société québécoise pour une télésérie que va diffuser Radio-Canada, et où il a enregistré pour la radio publique une entrevue «en temps réel», avec le regretté Marc Favreau, dit Sol, ce coup de chapeau à Vigneault confirme que Fred Pellerin est plus qu'un conteur ou un chanteur. C'est un porte-parole de 35 ans auquel des pionniers passent tout naturellement le flambeau.

«Ce fut un immense honneur d'être choisi pour l'hommage à Vigneault, dit Pellerin. J'ai eu tellement de réactions! Ça a déclenché des déferlantes sur les réseaux sociaux, ça a fait des lettres ouvertes, j'ai eu des échos de certains partis ou projets politiques.

Au point de te laisser tenter?

Non, je veux garder la liberté de la poésie.

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FRED PELLERIN, C'est un monde, Tempête/Dep

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