Éric Lapointe ne blaguait pas quand il a dit qu'il était «sur le cul» en acceptant le Félix de l'interprète masculin de l'année au gala de l'ADISQ dimanche dernier. Il était encore un peu sous le choc quand nous l'avons rencontré le lendemain dans un resto du Plateau Mont-Royal. Conversation avec un homme heureux.

Éric Lapointe a souvent été finaliste au prix de l'interprète de l'année que vient de lui attribuer le public. Chaque fois, il était reparti bredouille. «À un moment donné, tu perds espoir et tu vas au gala pour chanter et pour faire de la figuration», dit-il.

Surtout quand, comme cette année, deux des finalistes sont des diplômés de Star Académie. «J'ai vaincu la machine!», s'exclame en rigolant le rocker, le regard dissimulé par ses verres fumés comme s'il voulait cacher toute trace de lendemain de veille. «Tu peux dire que j'ai bu une bouteille de champagne», concédera-t-il plus tard, une fois débarrassé de ses verres pour laisser voir le regard souriant d'un homme comblé, sobre et pas mal plus en forme qu'il ne l'était dans ses années de galère avant son hospitalisation il y a trois ans.

Le fait d'être à jeun inverse complètement la perspective, m'explique-t-il: «Avec l'alcool, tu débarques de scène et t'as l'impression que t'as performé comme un dieu alors que t'étais complètement bourré, mais quand t'es à jeun, tu penses que t'as été pourri alors que t'as fait une belle performance. L'adaptation s'est surtout faite du côté du personnage. Les premières fois que tu le fais à jeun, t'as l'impression d'être un imposteur, un acteur. Ça m'a pris au moins une dizaine de shows avant de remettre mon habit de vedette et de me lancer à genoux en tendant la main aux fans sans me prendre pour un clown.»

Lapointe hésite à parler de sa sobriété qu'il ne veut surtout pas porter comme une étiquette. «J'ai été obligé de me cacher pour prendre un verre de vin en soupant, confie-t-il. Ça m'arrive de prendre un verre, mais je ne serai plus jamais l'excessif, le suicidaire que j'ai été. La vie m'a donné une claque dans la face: j'ai conscience que mes organes internes sont beaucoup plus vieux que mon âge réel. Pour compenser, je fais du sport tous les jours. Et puis j'ai un enfant, et un autre qui s'en vient en mai prochain.»

Vivre pour chanter

«Lâchez-moi pas et jusqu'au bout, je serai là; jusqu'au bout de ma voix», a lancé Lapointe en acceptant son Félix inespéré et inattendu. S'il y a une chose qui n'a pas changé en lui, c'est sa dévotion totale à la musique. «Je vis pour chanter, je vis pour être sur scène, c'est la raison pour laquelle je fais des albums», dit-il sans affectation aucune.

L'artiste en lui est comblé ces temps-ci. Moins d'un an après Le ciel de mes combats, rapidement certifié disque d'or, son album Lapointe symphonique est arrivé en magasin cette semaine. Et le rocker a déjà commencé à écrire des chansons pour un autre album qui devrait voir le jour à l'automne 2012.

Ce nouvel album enregistré avec l'Orchestre Symphonique de Montréal en ouverture des FrancoFolies le 10 juin dernier - le tout dernier concert de l'OSM à Wilfrid-Pelletier - est un rêve qui habitait Lapointe depuis longtemps. Le risque - Lapointe et le chef et orchestrateur Scott Price en étaient bien conscients - était que le band rock écrase le grand orchestre dans les chansons plus lourdes, plus rythmées. La priorité a donc été donnée aux ballades, avec en prime quelques chansons plus costaudes qui, pour la plupart, ne se trouvent pas sur le nouvel album. On n'y trouve pas non plus de chanson du Ciel de mes combats. «Pour cet album, je m'étais payé des vraies cordes, dont une partie venaient de l'OSM, explique Lapointe. C'était donc sensiblement les mêmes arrangements, signés Scott Price, et il était peut-être un peu trop tôt pour revisiter ces chansons de toute façon.»

Il y a sur ce disque deux cadeaux qui ont un lien avec la naissance de son fils Christophe-Arthur en février dernier: Le météore, de Stephen Faulkner, que Lapointe chantait sur l'album 2000 et un enfants de Dan Bigras en 1999, et Regarde bien, écrite avec ses complices retrouvés Roger Tabra et Stéphane Dufour après la naissance de fiston. «On l'a composée en fonction de ce show-là, dit le papa. C'est la seule pièce où il n'y a pas de solo de guitare, mais un solo d'orchestre!»

Cette chanson forte, Lapointe ne la fait pas encore dans son spectacle qui tourne depuis près d'un an et dont la première escale montréalaise aura lieu au Métropolis le 24 novembre. «Je vais laisser le temps aux gens de la découvrir», explique-t-il. Il ajoute: «On connaît le show sur le bout des doigts, on peut donc s'amuser, interchanger les chansons, improviser. À Montréal, je vais ajouter trois cuivres, pour mon plaisir et le plaisir du public, j'espère.»

Le Métropolis sera également témoin des retrouvailles sur scène de Lapointe et du guitariste Stéphane Dufour pour la première fois depuis la tournée Coupable, il y a environ six ans. «Stéphane et moi, on est un couple et notre séparation n'était sûrement pas étrangère à mon autodestruction, raconte Lapointe. C'est comme si on était retombés tous les deux dans nos pantoufles. À l'Autre Gala (de l'ADISQ), je lui ai dit à la blague: «La seule année où je n'ai pas gagné le Félix de l'album rock de l'année, c'est quand t'étais pas là.» Disons qu'aujourd'hui, Stéphane fait plus partie du band que du patronat et il est bien là-dedans. De toute façon, je n'ai jamais joué au boss.»

Noël en famille

Après 11 années consécutives à passer les Fêtes avec ses amis musiciens et son public, Éric Lapointe a décidé de faire une pause cette année, histoire de célébrer Noël avec son fils et sa blonde. Mais il a déjà une idée pour 2012: «Maintenant que j'ai en main les partitions, il y a dans l'air le projet de faire une tournée avec tous les orchestres symphoniques de la province, à Trois-Rivières, Chicoutimi, Québec... Ça sera peut-être la tournée de Noël de l'année prochaine.»

Entre-temps, après deux ans à Cuba, Lapointe convie ses fans à une semaine de farniente et de rock au Club Med Turquoise (Turks & Caicos), du 3 au 10 février prochains: «J'ai réservé le Club Med au complet pour 500 personnes. C'est un voyage tout inclus avec un show tous les soirs, avec mon frère Hugo, Marco Calliari, les Porn Flakes et Martin Fontaine avec leur show Rock the King, Jonas et François Massicotte.»

Lapointe a des engagements jusqu'à la fin de 2012. «Deux semaines sans jouer et j'ai l'impression que je suis un artiste fini, que le monde me déteste, dit-il. Je pense que je fais ce métier-là parce que j'aime avoir peur. C'est peut-être pour ça que je conduis vite ma moto et que je saute en parachute.»

ÉRIC LAPOINTE, au Métropolis, le 24 novembre.

ROCK SYMPHONIQUE

ÉRIC LAPOINTE ET L'OSM LAPOINTE SYMPHONIQUE INSTINCT MUSIQUE/DEP

Illustration: Michel Rabagliati