Ce n'est pas un soir tout à fait comme les autres dans la Ville Reine. Coldplay vient de monter sur une scène extérieure du centre-ville, le temps d'un concert gratuit. Pour la foule, c'est l'occasion de voir si la célèbre formation a toujours sa touche magique; pour le quatuor, c'est le moment d'étrenner les chansons de Mylo Xyloto, en magasin mardi. Au terme d'une solide performance, les deux clans repartent souriants: un nouveau chapitre de l'histoire d'amour qu'entretient Coldplay avec ses fans est en train de s'écrire...

La salle de conférence est comme tant d'autres, anonyme. Des néons au plafond, un haut-parleur main libre au centre d'une table ovale, un téléphone dans un coin. C'est là, dans les locaux de MuchMusic, que Guy Berryman et Will Champion, le bassiste et le batteur de Coldplay, nous donnent rendez-vous quelques heures avant leur concert. Le premier, qui fait à peine ses 33 ans, arbore un veston bleu marine décontracté; le second, aussi âgé que son compère sous sa barbe, un t-shirt blanc.

Ils sont d'excellente humeur, les gars, nullement affectés par le trajet d'avion qui les a menés de leur Angleterre natale au Canada avec leurs collègues Chris Martin (voix) et Jonny Buckland (guitares). Ils admettent, cependant, qu'ils se trouvent dans une situation singulière. Mylo Xyloto, leur cinquième album, ne leur appartient plus entièrement, leur boulot en studio étant terminé, mais il n'appartient pas encore aux fans non plus...

«C'est un moment particulier, où l'on sent qu'on met un peu notre tête sur le billot et l'on attend que les choses se passent, confie Guy. Mais pour être bien honnête, on a terminé l'album il y a quelques [semaines] seulement, même si on a joué certaines chansons en spectacles. On travaille vraiment jusqu'à la dernière minute.»

De la même manière que Will et Guy ont l'habitude de fusionner basse et batterie sur scène, l'un complète les propos de l'autre tout au long de notre entretien. Le batteur précise donc qu'après avoir passé des mois à enregistrer, à ajouter des segments ici et là, Coldplay s'est mis à «couper dans le gras».

«Parfois, on se retrouve avec des éléments qui ne sont pas nécessaires. On réalise que les pièces sont trop longues, alors on supprime des intros ou des codas.»

La bande sonore qui n'en était pas une

Mylo Xyloto a passablement changé par rapport à ce qu'il devait être à l'origine. Afin de bien orienter la création, le groupe s'était donné un cadre assez précis. On ne peut pas vraiment parler d'un album concept, mais l'enregistrement retient plusieurs éléments typi- ques de cette approche: les chansons se font quelque fois écho, du côté des textes comme des musi-ques.

«Une des idées sur laquelle nous avons longtemps planché était que cet album serait la bande sonore d'un film d'animation, relate Guy. On avait des personnages en tête, un synop- sis d'histoire et un monde dans lequel ces personnages évoluaient. [...] Mais au fur et à mesure que nous avons avancé, on s'est éloignés de ce concept et c'est devenu quelque chose de plus conventionnel.»

Le titre de l'album a fait couler beaucoup d'encre. Quelle en est la signification»? Comment le prononce-t-on? Les musiciens ont réalisé qu'ils s'étaient donnés une tâche supplémentaire en baptisant le disque ainsi. Ils doivent en effet répondre continuellement à ces questions. Mais s'ils ont quelqu'un à blâmer, c'est le chanteur Chris Martin: il a en effet eu l'idée de ce nom, qui serait celui d'un personnage...

Mylo Xyloto abrite maints traits propres à Coldplay: des mélodies accrocheuses, des musiques touffues, souvent aériennes, des ballades sensibles. Au chapitre des nouveautés, impossible d'ignorer la collaboration avec Rihanna et la présence de pièces acoustiques, en particulier Us Against The World, que les Anglais ont inséré dans les concerts offerts depuis l'été. Fait intéressant: sur cette chanson, on distingue aisément l'apport de chaque membre, alors que, le plus souvent, Coldplay mise sur un son d'ensemble.

«C'est la chanson la plus brute de l'album, constate Will. Quand on a commencé ce projet, on songeait à faire un disque entièrement acoustique, quelque chose de plus dépouillé et intime. Mais on a aussi commencé à écrire d'autres pièces, qui ne cadraient plus dans cet univers. C'était impossible pour nous de mener deux projets de front, alors on a mis tout ça ensemble.»

La griffe collective

Pour donner forme à Mylo Xyloto, Coldplay a une fois de plus fait appel à Brian Eno et à Markus Dravs (Björk, Arcade Fire). Le premier a joué un rôle accru dans le volet écriture, alors que le second, épaulé de Daniel Green et Rik Simpson, a été réalisateur au sens classique du terme, poussant le quatuor à explorer de nouvelles avenues et à respecter un horaire de travail strict. Quand on sait que l'équipe compte aussi un ami proche considéré comme le cinquième membre du groupe, Phil Harvey, un gérant, des techniciens et des représentants de l'étiquette de disque, ça commence à faire pas mal de monde dans le clan Coldplay. Or selon Guy, ceci n'empêcherait pas les gars de retrouver régulièrement l'intimité et la naïveté de leurs débuts.

«Même s'il y a plusieurs personnes qui travaillent avec nous et qu'il y a pas mal de bruits et de discussions autour du groupe, quand nous sommes ensemble en studio, les quatre dans une même pièce, ça redevient très simple et plus rien d'autre n'importe. C'est là que les graines des chansons sont semées, avec très peu d'autres personnes.»

Voilà déjà 15 ans que Coldplay roule sa bosse. Au fil des enregistrements et des tournées, le groupe a vécu tous les tourments auxquels les formations de musique populaire sont confrontées. Pourtant, ce n'est pas à la période où le succès est arrivé que les secousses ont été les plus grandes, mais un peu avant. Will Champion a en effet été mis à la porte brièvement en 1999, après quoi Chris Martin l'a prié de réintégrer la troupe. Depuis cette période tumul-tueuse, Coldplay apparaît profondément unifié. Et ce n'est pas le fruit du hasard: les musiciens ont compris que c'est dans la rencontre de leur talent que réside leur originalité.

«On est passés à travers notre lot d'affrontements, qui étaient basés sur nos propres insécurités, je crois, soutient Will. [...] Désormais, nos relations professionnelles et sociales sont plus fortes que jamais. Et notre respect envers ce que nous avons a grandi: la chimie qu'on a entre nous est réellement la seule chose que l'on peut avoir à titre de groupe. Toutes les notes, tous les accords ont déjà été joués. La seule chose qui nous distingue des autres est la chimie que nous avons et nous sommes entièrement décidés à garder ça. C'est là que notre force réside.»

Photo: EMI

<em>Mylo Xyloto</em> de Coldplay (pop-rock) sur EMI sera en magasin mardi.