Tous l'appelaient affectueusement «Maryvonne». Elle-même se présentait depuis quelques années comme «la grand-mère» et, plus officiellement, sous son patronyme d'origine, Kenderjian.

Maryvonne Kendergi est décédée mardi soir à 96 ans. Elle était née en Turquie, de parents arméniens, le 15 août 1915, selon l'Encyclopédie de la musique au Canada, mais, dans son entourage, on la disait née deux ans plus tôt.

Mue par une énergie et une détermination redoutables, la disparue remuait mer et monde pour obtenir ce qu'elle désirait. Tous ceux qui l'ont côtoyée, moi le premier, en savent quelque chose.

Ce qu'elle désirait, c'était, avant tout, la reconnaissance de la musique d'aujourd'hui et des compositeurs d'aujourd'hui, québécois de préférence. On se rappellera, par exemple, ses brillants «Musialogues». Elle avait inventé le mot et avait mis au point la formule de ces interviews publiques qu'elle animait à l'Université de Montréal avec des compositeurs d'ici ou de passage, comme Messiaen, Stockhausen, Xenakis, Kagel et John Cage.

Très active à Radio-Canada, elle y présenta plus de 200 reportages réalisés lors de ses tournées des grands festivals européens. Ce qui lui avait valu dans certains milieux le surnom de Notre-Dame-des-Festivals. Elle ne se rendit jamais à Bayreuth. «Dieu m'en garde!», m'avait-elle lancé. Ni à Tanglewood. «Les Américains? Je les déteste!». Une femme entière, Maryvonne!

À Paris, elle avait étudié le piano à l'École Normale et l'histoire de l'art à la Sorbonne. Elle vint vivre au Canada en 1952. Après quatre ans comme animatrice radiophonique à Gravelbourg, en Saskatchewan, elle s'établit à Montréal en 1956, entra à Radio-Canada et participa en 1966 à la fondation de la Société de musique contemporaine du Québec. Plus tard, se sentant boudée par la nouvelle direction de la SMCQ où elle n'avait plus d'autorité, elle se fit porte-parole de l'organisme concurrent, le Nouvel Ensemble Moderne. Mais on la croisait régulièrement aux deux enseignes car, sous l'une ou l'autre, le produit restait le même : la musique d'aujourd'hui, sa seule et unique passion.

Qu'on l'ait aimée ou non, notre petit monde de la musique dite «moderne» vient de perdre une personnalité très forte comme il n'en existe plus.

Radio-Canada lui consacrera une émission de deux heures mardi à 20h.