Les artistes pop qui ont envie de faire du symphonique sonnent tous à la même porte: celle de Simon Leclerc, 46 ans, ex-Petit chanteur du Mont-Royal et ex-choriste de Céline Dion. Cette semaine, il dirigeait le concert de Simple Plan et de l'OSM; le 5 octobre, il sera de retour à la Maison symphonique avec l'OSM et Rufus Wainwright. Portrait d'un touche-à-tout, à cheval entre deux mondes.

On a déjà dit de Simon Leclerc qu'il était le André Gagnon du XXIe siècle pour ses allers et retours constants entre la musique pop et la musique symphonique. Mais on pourrait ajouter à cette image un soupçon de Gregory Charles pour l'aspect touche-à-tout de sa vie professionnelle, et pour son refus obstiné de se brancher et de se cantonner dans un seul genre musical. Par choix et par tempérament, Simon Leclerc est un homme qui peut porter plusieurs casquettes et occuper plusieurs fonctions dans une même journée. C'est pour son côté caméléon et parce qu'il est en train de devenir le chef pop par excellence de l'OSM, et un arrangeur dont on entend de plus en plus parler, que je suis allée à sa rencontre.

Nous nous sommes retrouvés dans une sorte de no man's land au coeur du centre-ville de Montréal, au café du magasin Holt Renfrew. Simon Leclerc a commandé un ballon de vin rouge en déposant sur la table voisine une épaisse liasse de feuilles de musique, sur lesquelles étaient inscrites les partitions des 16 pièces de Simple Plan pour le concert de mardi. Simon Leclerc a mis deux mois à écrire et peaufiner les arrangements symphoniques des tounes de Simple Plan, mais pour lui, c'était business as usual.

Même rigueur, même respect

La conversion du pop en symphonique est en effet une seconde nature pour celui qui, pendant six ans, a dirigé l'orchestre des studios de cinéma Paramount, à Los Angeles. Au départ, c'est son mentor, le compositeur et arrangeur Paul Baillargeon, qui avait été embauché pour écrire les arrangements de la série culte Star Trek et pour diriger l'orchestre qui les interprétait. Mais débordé par son travail à Montréal, Baillargeon a demandé à Leclerc de le remplacer une fois, puis deux, puis trois.

Lorsque la série a pris fin six ans plus tard, les gens de Paramount ont invité Simon Leclerc à poursuivre son travail d'arrangeur et de chef d'orchestre, mais à une condition: qu'il s'installe à demeure à Los Angeles. Leclerc a refusé. «Je n'avais pas envie de tout le temps être en représentation, y compris dans un barbecue avec des amis», dit-il.

Il faut dire qu'entre-temps, à l'invitation de Charles Dutoit, il avait commencé à diriger des concerts pop à l'OSM. Sous sa baguette, Bruno Pelletier, Lorraine Desmarais, Isabelle Boulay, Gino Vanelli et Laurence Jalbert ont tous pu avoir une aventure d'un soir avec le monde symphonique, pour le plus grand bonheur de leurs fans, mais pas nécessairement pour celui des amateurs de musique classique.

«Je suis conscient que des préjugés existent au sujet de la musique pop symphonique, considérée comme trop simple ou trop commerciale, mais c'est parce que c'est souvent mal fait, explique-t-il. À mes yeux, l'important, c'est de faire preuve de la même rigueur devant une pièce pop que devant une symphonie de Mozart, d'avoir le même respect, car il n'y en a pas une meilleure que l'autre.»

Depuis l'adolescence

Même si Simon Leclerc a toujours refusé de se cantonner dans le classique, son rapport avec le monde symphonique n'a rien d'une aventure d'un soir. C'est une relation qui dure depuis son adolescence.

«Très jeune, je me suis mis à triper sur la construction et l'écriture musicales. J'allais régulièrement chez Archambault acheter des partitions de Ravel, Debussy, puis de Stravinski, pour les étudier. Je trouvais ça fascinant.»

Né à Québec dans une famille où la musique avait une place de choix, Simon Leclerc pouvait difficilement choisir une voie autre que musicale. Sa mère jouait du piano et son père, François Leclerc, adorait chanter et aurait fait carrière à l'opéra s'il n'avait pas eu une famille à nourrir et un poste de direction au Mouvement Desjardins. Leclerc déménage avec ses parents et son frère, qu'il qualifie de génie de l'informatique, à Montréal, à l'âge de 8 ans. Il se joint aux Petits chanteurs du Mont-Royal que fréquente déjà Gregory Charles. Les deux se retrouveront quelques années plus tard au Collège Notre-Dame.

«À l'âge de 10 ans, en voyant un documentaire sur John Williams qui dirigeait un orchestre devant un écran géant où était projeté Star Wars, j'ai décidé que je voulais faire de la musique de film. Mes parents m'ont payé un cours de composition et, tout naturellement après Notre-Dame, je suis entré au Conservatoire de musique en composition. Je pensais que j'avais trouvé ma voie, mais en réalité, j'étais malheureux. Le cadre était trop rigide. Moi, je suis quelqu'un qui pense out of the box. La deuxième année, j'ai abandonné la composition pour aller en interprétation de la contrebasse, mais je n'ai pas terminé l'année.»

Entre temps, Simon Leclerc a envoyé un démo de ses compositions au compositeur Paul Baillargeon qui lui donne sa première chance dans le métier en l'engageant comme choriste à l'émission Le train de 5 heures, à Radio-Canada. C'est Baillargeon qui fait les arrangements musicaux de l'émission, mais parfois le temps lui manque, alors il se tourne vers le jeune choriste, qui sait lire la musique mieux que les autres, et lui demande un coup de main.

Pourquoi se limiter?

Grâce à Baillargeon, Simon Leclerc fait la connaissance des hommes-orchestre de l'heure: des musiciens comme François Dompierre, Léon Bernier et François Cousineau, qui seront en quelque sorte ses modèles. Pendant un été, pour gagner sa vie, il sera choriste pour une jeune chanteuse qui fait ses premiers pas dans le métier, une dénommée Céline Dion. La chanteuse ne se doute pas de la carrière internationale qui l'attend. Quant à son choriste, il est loin de s'imaginer que dans quelques années, il sera le chef d'orchestre du spectacle Les Misérables, qu'il composera la musique de la comédie musicale Dracula, qu'il écrira la version opératique de Starmania ou qu'un jour, il accompagnera Charles Aznavour dans sa tournée au Canada.

«Je ratisse large, je sais, mais quoi de mieux que d'avoir accès à des mondes différents plutôt que de toujours voyager dans le même monde? J'aime l'idée qu'un jour, je dirige Simple Plan à l'OSM et que le lendemain, Kent Nagano me demande d'écrire un concerto pour animateur de radio (ce qu'il a fait pour l'émission C'est bien meilleur le matin). Ou alors que Yannick Nézet-Séguin m'invite à diriger un concert de musiques de film. Pourquoi se limiter? Pourquoi toujours rester à l'intérieur du même cadre?»

Simon Leclerc n'aime tellement pas s'imposer de limites que l'hiver dernier, il s'est payé un spectacle d'un soir, Les synapses de Simon, présenté à la Cinquième salle avec la participation de ses amies, Macha Limonchik et Marie-Josée Lord.

«En montant ce spectacle, mon désir d'artiste n'était pas celui d'un chanteur pop qui dit «suivez-moi, achetez mes disques», mais d'un musicien qui, un soir comme ça, a envie de partager sa musique et d'être écouté par le public pour le simple plaisir de la chose et sans penser à demain.»

Si par un méchant hasard, Simon Leclerc était un jour obligé de choisir entre ses multiples casquettes, il choisirait celle de compositeur. Mais ce jour n'est pas sur le point d'arriver, ce qui va permettre à Simon Leclerc de diriger Rufus Wainright et l'OSM le 5 octobre, d'écrire un poème symphonique pour le concert à Londres de la pianiste Louise-Andrée Baril, tout cela sans jamais avoir à renoncer à une seule corde à son arc.