Docteur Ike, Ira Padnos de son vrai nom, pratique deux médecines à la Nouvelle-Orléans: celle du corps et celle de la musique populaire américaine. Au cours de la dernière décennie, les patients de sa seconde clientèle n'ont cessé de gagner en importance.

Fondateur et directeur artistique du festival Ponderosa Stomp qui s'est tenu pas plus tard que la semaine dernière, le médecin anesthésiste prodigue d'autres soins à une foule de brillantes carrières ralenties par le destin. Beautiful losers, remarquables oubliés, pour reprendre les expressions de Leonard Cohen et de l'émission radio-canadienne qu'anime l'anthropologue Serge Bouchard.

«Depuis l'adolescence, explique Dr Ike, je suis un fervent collectionneur de musique. Lorsque j'ai terminé mes études de médecine (je suis originaire de Chicago), je me suis installé en Louisiane. Pour le plaisir, je me suis mis alors à organiser de très grosses fêtes de jardin. Pour ce, j'invitais des artistes locaux, artistes doués qui avaient besoin de travail.

«De fil en aiguille, mes partys sont devenus des événements. Pour mon mariage en l'an 2000,  j'avais invité plusieurs musiciens que je qualifierais de légendaires: Paul Burlison du Rock'n'Roll Trio, DJ Fontana, James Burton, le guitariste de blues Jody Williams et autres musiciens de talent que l'Histoire était en train d'oublier. Ce fut un mariage complètement fou!»

Ainsi naquit le Ponderosa Stomp, dont le nom s'inspire d'une chanson du bluesman Lazy Lester. Enraciné profondément dans ce continent, le festival louisianais puise dans les styles fondateurs de la musique populaire moderne des États-Unis, particulièrement celle du Sud: rock-n-roll, blues, swamp blues, jazz sudiste, country, pop, soul.

«L'expérience fut tellement excitante que j'ai trouvé un petit lieu de la Nouvelle-Orléans, le Circle Bar, afin d'y organiser des soirées mensuelles. Rapidement, j'ai réalisé que les frais de production étaient trop élevés et qu'il valait mieux mettre sur pied un gros événement à la fin avril et ainsi profiter de l'affluence du Festival Jazz & Heritage de la Nouvelle-Orléans.»

Dix ans plus tard, des centaines d'artistes américains se sont produits au Ponderosa Stomp.

«Plusieurs d'entre eux, soulève leur thérapeute bienveillant, n'ont pas toujours vécu dans les meilleures conditions économiques. Certains ont dû exercer d'autres emplois pour boucler les fins de mois. Il fallait donc redorer leur image, relancer leur carrière, bref les remettre sur les rails et faire en sorte que leur talent soit reconnu de nouveau. Ainsi, plusieurs ont pu tourner davantage après leur passage au Ponderosa Stomp, je pense à Barbara Lynn, Archie Bell ou Betty Harris... Certains jouent même en Europe, en Asie ou au Moyen-Orient.»

Mais pourquoi donc, Dr Ike, tout ce dévouement pour ces artistes errant dans les chemins de traverse?

«Parce que leur expression a du vécu, de l'âme, de l'émotion. Ces artistes souhaitaient conquérir le grand public, leur trajectoire a été plus ardue que prévu. Puisqu'ils sont encore d'excellents musiciens, leur expression est d'autant plus riche. Je crois sincèrement que les musiques de ces artistes choisis au Ponderosa Stomp sont intemporelles.»

Le médecin admet que tous ces efforts déployés représentent une deuxième profession à temps complet.

«Une mission? Oui, j'admets. Le grand public connaît les groupes et chanteurs qui se trouvent au sommet des palmarès. Tant d'autres musiciens de talent restent dans l'ombre. Lorsque vous découvrez la trajectoire de chacun, vous réalisez à quel point ces artistes ont frôlé le succès ou encore l'ont connu pendant de courtes périodes, ou encore ont-ils participé au succès d'artistes plus célèbres. Vous redécouvrez des chansons que vous connaissiez déjà sans savoir que ces musiciens en étaient responsables. Le Ponderosa Stomp, dans cette optique, dévoile la face cachée du rock & roll.»

Ainsi donc, les festivaliers de Pop Montréal auront droit à un concentré vivifiant. Au programme de ce Ponderosa Stomp Review, Dr. Ike?

«The Velvelettes étaient étudiantes lorsqu'elles furent produites par Motown dans les années 60. Elles  formèrent l'un des premiers  groupes de chanteuses. Elles ont finalement exercé une autre profession mais ont poursuivi comme si c'était un passe-temps. Maintenant à la retraite, elles ont décidé de reprendre du service. Et elles ont du matériel formidable à proposer!

«Bobby Allen est un chanteur soul qui a travaillé sur des labels obscurs.  Il a une voix magnifique... et n'a jamais été reconnu à l'échelle nationale.»

«Incroyable guitariste, Lil' Buck Sinegal a jadis collaboré avec des grands artistes de Louisiane, notamment Clifton Chénier et Allen Toussaint. Il est notre arme secrète!»

Une carte soleil avec ça?

Dans le cadre de Pop Montréal, le Ponderosa Stomp Review est présenté ce vendredi, 21h30, au Cabaret du Mile-End