Ana Da Silva et ses acolytes du groupe The Raincoats jouaient de la musique bien avant Kurt Cobain, dans le Londres underground du tournant des années 1980. Mais c'est en grande partie à cause du chanteur de Nirvana que The Raincoats a aujourd'hui une haute cote d'estime.

Kurt Cobain citait le groupe post-punk -associé au mouvement féministe des Riot grrrl- parmi ses influences. Au début des années 1990, il avait même convaincu The Raincoats de se reformer pour la première partie de Nirvana, plan qui a avorté quand le jeune chanteur de 27 ans a mis fin à ses jours.

«Nous n'étions pas aussi big que Nirvana! lance la chanteuse Ana Da Silva. C'est une bonne chose car je n'ai jamais voulu connaître la célébrité. Pour moi, c'est important que certaines gens connectent personnellement avec mon art, mais pas tout le monde car ce n'est plus significatif.»

C'est une sorte d'hommage que Pop Montréal rend à The Raincoats cette année. Non seulement Ana Da Silva, Gina Birch et Shirley O'Loughlin donneront un spectacle dimanche au Cabaret du Mile-End, elles discuteront de leur carrière avec Roxanne Arsenault dans l'ancienne École des beaux-arts de Montréal (samedi au 3450 rue Saint-Urbain), où elles ont droit à une exposition de photo inédite ouverte au public durant Pop Montréal.

«C'est une première exposition pour nous, indique Ana Da Silva. C'est bien car nous avions chacun des trucs de notre côté que nous allons réunir. Il y aura des photos d'époque, des scans de trucs que nous aimons. Moi, j'aurai des dessins, des monographies (...) Gina a fait des vidéos...»

The Raincoats a donné son tout premier spectacle en 1977. Le groupe a sorti trois albums jusqu'à sa séparation, en 1984. Aujourd'hui, Ana Da Silva a du mal à croire avec du recul que The Raincoats fait encore des spectacles à l'occasion.

C'est avec une question que l'artiste sexagénaire explique la cause de la rupture de son groupe, il y a plus de 25 ans. «As-tu déjà essayé d'écrire un article à trois personnes? lance-t-elle. C'est difficile de faire des compromis avec l'art.»

Comme beaucoup de musiciens britanniques influents de l'époque, Ana Da Silva et Gina Birch ont fait connaissance dans une école d'art de Londres. «Il y avait la vague punk, raconte Ana Da Silva. Nous avions décidé de faire un groupe, même si nous jouions peu de musique. Tout ce qu'il fallait pour faire des chansons, c'étaient quelques accords. L'important, c'était d'avoir des idées et de l'énergie, pas nécessairement de bien jouer. Les solos étaient même mal vus... il fallait créer ses propres règles.»

Le mouvement punk parlait bien au-delà de la musique. «C'était une expression politique, indique Ana Da Silva. Il y avait une vague de changement dans la société et la musique était une expression de cette volonté de changement. Cela bousculait les traditions... Pas juste de façon politique, mais sociologique. C'était aussi à propos des femmes qui revendiquaient plus de place (...) et c'est ce que le punk incarnait: tout le monde peut faire ce qu'il veut.»

Au départ, deux gars accompagnaient les deux jeunes filles, qui étaient parmi les premières rares rockeuses de l'époque. «Il y avait un groupe appelé The Slits, rappelle Ana Da Silva. Aux États-Unis, il y avait The Runaways (...) C'était inspirant de voir des femmes à la basse ou à la batterie.»

En 1992, Kurt Cobain était en visite à Londres quand il est entré dans la boutique d'antiquités d'Ana Da Silva avec un vieil album de The Raincoats dans les mains. Cobain a ensuite convaincu les filles de son ancien groupe préféré à sortir leurs albums en format CD. Avec la tournée de The Raincoats avec Nirvana qui n'a jamais eu lieu à la suite de la mort de Cobain, le groupe a tout de même fait un spectacle qui devait être le dernier, mais qui a finalement été le début d'une deuxième vie pour The Raincoats. «Tout cela nous a fait sentir très bien et nous avons décidé de faire un nouvel album.»

Looking In The Shadows est sorti en 1996. Depuis, The Raincoats fait des mini-tournées à l'occasion. «J'ai toujours aimé jouer live», dit Ana Da Silva.

Dimanche soir, The Raincoats interprétera des chansons de tous ses albums et EP. «Même une chanson féministe inédite que Gina a écrite», souligne Ana Da Silva, qui se décrit comme une féministe qui l'était avant même de savoir ce que c'était.

The Raincoats est en spectacle dimanche au Cabaret du Mile-End. En première partie: Grass Widow, Mensch et Hannis Brown.