Se construire soi-même, sans argent ni éducation. De nos jours, cette trajectoire est rarement occidentale. En Afrique, cependant...

Après le décès prématuré de sa mère, chef de famille monoparentale, Mamani Assitan Keïta  fut sauvée des eaux par grand-maman. Elle n'avait que 13 ans. Son aïeule reconnut son potentiel et lui insuffla le courage nécessaire pour qu'elle s'inscrive à la Biennale artistique de Bamako... où elle remporta le concours de la meilleure soliste. Sans instruction, cette jeune fille opiniâtre avait confiance en ses moyens.

L'adolescente ne parlait que le bambara lorsqu'elle fut recrutée par le Badema National avant de participer à d'autres formations de la capitale malienne. Le grand Salif Keïta l'a recrutée alors qu'elle n'avait que 17 ans. À 19 ans, la choriste débarquait en France avec la formation du chanteur alors en pleine conquête des publics occidentaux.

Mamani Keïta n'a pas quitté la France avant de faire décoller sa carrière solo au terme de l'expérience vécue avec Salif - qui, soit dit en passant, n'a aucun lien de parenté direct avec elle. À l'âge de 30 ans, elle accouchait d'une fille qu'elle a élevée seule tout en gagnant sa croûte.  Curieuse et culottée, elle trouva du travail tout en envisageant une carrière solo. Et une esthétique ouverte sur le monde, à l'image de sa propre migration .

Elle vient de cette génération d'artistes ouest-africains nourris aux musiques traditionnelles et dont le son commençait à être actualisé. Qu'en est-il aujourd'hui? «Je tiens à ma tradition, mais je fais toujours de la recherche. Mes racines ne m'empêchent pas d'aller vers les autres. Bien sûr, je n'écoute pas que de la musique malienne dans la vie. J'écoute de tout, la musique est sans frontières.  Même avant de partir en France, mon objectif était de parcourir le monde entier avec une musique traditionnelle modernisée à ma façon. Ainsi, les instruments traditionnels maliens ont toujours côtoyé les Occidentaux.»

Au début des années 2000, Mamani Keïta fut la chanteuse d'Électro Bamako, projet remarqué qu'elle mena avec le guitariste Marc Minelli. En 2007, elle collabora aussi à Red Earth, projet malien de la chanteuse de jazz Dee Dee Bridgewater. Sa carrière solo était déjà bien lancée: en 2006, le label parisien No Format! lançait Yelema, opus créé de concert avec le guitariste Nicolas Repac, proche collaborateur d'Arthur H comme on le sait. Repac a remis ça pour les musiques de Gagner l'argent français, album tout frais de Mamani Keïta dont il a signé les arrangements et la réalisation.

«Ce que je suis allée chercher chez Nicolas, c'est sa qualité de travail. J'étais intéressée par son travail de créateur, son modernisme rock m'a attirée.»

Ouverture électronique

Ouverte à la mouvance électronique comme en témoignent Électro Bamako et Yelema, Mamani Keïta a poursuivi sa quête en modifiant la proposition de Gagner l'argent français: «On y trouve plus de guitares, moins d'électronique. Nous avons fait les prises de son en live, c'est-à-dire que nous étions tous ensemble pour chacune des chansons. Évidemment, on cherche à évoluer, et j'ose espérer que le nouvel album est meilleur que le précédent. De mon point de vue, je dirais que oui.»

Puisqu'il a repris du service avec Arthur H, Nicolas Repac ne sera pas de l'escale montréalaise. Accompagneront la chanteuse Djely Moussa et François Lasserre, guitares, Jérôme Goldet, basse, Franck Mantegari, batterie, Moriba Koita, n'goni. À l'évidence, un équipage franco-malien et une bonne collection d'échantillonnages numériques balancés en concert.  

«Je  ne dis pas qu'ils sont mes musiciens, je dis qu'ils sont mes frères. Pour la tournée de Yelema, j'étais avec lui. On ne fait pas moins que sur le disque, pour les différences, je vous laisse la surprise.»

Force est de calculer que Mamani Keïta, 43 ans, a vécu plus longtemps en France qu'au Mali. Sa fille a la nationalité française, maman espère l'obtenir bientôt, mais elle se considérera toujours comme «d'abord malienne».  Gagner l'argent français relève clairement de cette transculture...

«La chanson titre de mon album s'adresse à tous, bien au-delà des immigrés de France. C'est aussi une façon de dire aux Africains que la vie en France n'est pas une vie si aisée qu'ils peuvent le croire.  L'argent y est très difficile à gagner. Sauf exception, la vie est difficile pour quiconque. Même si on aime cette vie!»

Dans le cadre du «week-end No Format!» présenté vendredi et samedi à L'Astral, Mamani Keïta se produit vendredi, 20 h.