Quelle femme africaine sait jouer la basse comme Manou Gallo? Franchement, pour arriver à lui trouver une interlocutrice à son niveau, il faudrait faire le tour complet du continent africain, sans compter toutes ces scènes musicales liées de loin ou de près à sa diaspora. Jusqu'à nouvel ordre, donc...

«C'est vrai qu'en Afrique, il n'y a pas beaucoup de femmes instrumentistes, convient l'Ivoirienne. On n'y trouvait que des chanteuses et des danseuses mais je pense que ça commence à changer; à  l'école de musique d'Abidjan, j'ai vu récemment plusieurs filles qui se sont mises aux instruments. Elles sont en train de se réveiller un p'tit peu, tant mieux! Si je peux faire partie des premières qui pourront aider les jeunes filles à y parvenir, ce sera avec plaisir.»

Bassiste émérite, mais aussi chanteuse, auteure et compositrice, Manou Gallo s'était produite la Tohue en novembre 2009, dans le cadre du Coup de coeur francophone. On avait remarqué son jeu très solide (basse à cinq cordes). Très bonne technique, très bon groove et cette culture africaine traditionnelle qui ne cesse de perler sur l'épiderme.

«C'était mon groupe, se souvient Manou Gallo. Alors que cette fois, je suis l'invitée de Music Machine, du batteur hollandais Lucas Van Merwijk. J'aime beaucoup! C'est de l'afro-funk, de l'afro-jazz, ma musique est jouée différemment. Vous savez, il faut éviter ces clichés du  musicien africain confiné à son folklore. Pour moi, cette époque est révolue. Je suis une femme libre. La musique je la fais comme je la sens, comme je l'entends. Je n'ai pas de barrières.»

Ce ton serein et affirmatif ne ment pas. Manou Gallo a tout d'une femme libre.

«Ce que je fais avec Lucas?  J'auditionnais des batteuses en Hollande pour mon groupe et j'ai croisé la fille de Lucas qui joue de la batterie comme son père. Et voilà c'est  ainsi que Lucas et moi nous sommes connus. Ça a pris ensuite près de trois ans pour que ce projet commun se concrétise. Jusqu'à maintenant, nous avons surtout joué mes compositions.

«En quelque sorte, je suis artiste invitée à jouer ma musique. Je joue sur scène avec ce groupe depuis un an au moins. Il y a la complicité, et on fera  un album assez percutant, créé conjointement. Lucas, il faut dire, est aussi très bon dans le latin jazz et la musique cubaine, il a aussi approfondi ce créneau. Si nous mélangeons tout ça, nous risquons d'obtenir quelque chose de frais.»

Aux Nuits d'Afrique, donc, Manou Gallo jouera plusieurs chansons préalablement créées pour ses trois albums en tant que leader : Dida (2003), sans titre (2008) et Lowlin (2010). Est-il besoin d'ajouter que Manou Gallo jouit d'une excellente réputation en Europe depuis qu'elle fut recrutée par le groupe féminin Zap Mama en 1997.

Auparavant, elle vivait en Côte d'Ivoire, voyez son parcours:

«Je suis dida, une ethnie de l'ouest. Je viens de Divo, je parle dida. Quand j'étais toute jeune en Afrique, j'interprétais des chants traditionnels qui sont toujours en moi. Il y a ce côté qui ressort. Retourner vivre en Côte d'Ivoire? Pourquoi pas? Je ne n'ai pas envie de vieillir en Europe...»

D'abord percussionniste dans son bled natal, elle fut remarquée et admise au sein de la formation Woya que dirigeait feu Marcellin Yacé.

«J'étais une femme du village, j'avais un petit don que j'avais pu développer. J'ai ensuite appris la basse dans le groupe Woya. Mon modèle était Marcellin, mon père adoptif en quelque sorte. En octobre 2002, il est décédé d'une balle perdue. La guerre commençait  alors en Côte d'Ivoire, il est passé au mauvais endroit au mauvais moment.

«Si j'y retourne malgré tout? Bien sûr. La Côte d'Ivoire est un pays qui doit redevenir ouvert comme il l'a été. Je vis à Bruxelles mais j'essaie d'y aller une ou deux fois par an. Mes racines sont très importantes pour moi. Vous savez, ma mère et ma grand-mère ont été avant-gardistes: une petite fille qui tapait sur des tambours, ce n'était pas évident à l'époque!

«Pour la basse que j'ai apprise plus tard, j'ai suivi des formations. Mes bassistes de référence? J'aime beaucoup Richard Bona, mais je suis plus proche d'un Marcus Miller ou d'un Victor Wooten. Je fais surtout dans le slam, m'on jeu n'est pas étranger à la percussion que j'ai d'abord pratiquée. Le tapping? Je suis en train d'apprendre. Vous savez, la technique ça prend des années et des années...»

À Bruxelles où elle réside depuis son recrutement par Zap Mama à la fin des années 90, Manou Gallo  mène plusieurs projets de front dont ses groupes Acoustic Women, (personnel féminin sauf le batteur), un projet afro-groove ainsi qu'un autre à Budapest.

Femme de son époque, aurons-nous déduit et lui aurons-nous dit.

«Oui, je crois être en plein dedans! Chacun a sa manière de voir les chose, bien sûr. Nous sommes tous  Terriens après tout. Bien sûr, nous avons besoin de célébrer nos origines mais il n'y a pas que ça. Pour moi, il importe plus de savoir comment vivre ensemble et faire avancer les choses.»

Manou Gallo et la Music Machine de Lucas Van Merwijks se produisent ce mardi, 20h, au Cabaret du Mile-End