Rome, projet du producteur américain Brian Burton (Danger Mouse) et de son ami arrangeur et compositeur italien Daniele Luppi, est un hommage à la musique de films italiens des années 60 et 70. Un Buena Vista Social Club italien, si on peut dire, qui devrait même se concrétiser sur scène.

On voyait mal ce qu'allait faire là Danger Mouse, producteur hip-hop dont le succès l'a amené autant à cofonder les groupes Gnarls Barkley et Broken Bell qu'à travailler comme réalisateur pour Beck, Gorillaz et prochainement U2.

Lui, fan de spaghetti westerns? La preuve: Crazy, le succès de Gnarls Barkley, est construit à partir d'un échantillon (la voix, les choeurs, les violons, le groove) d'une composition des frères Reverberi pour la trame sonore du film Preparati la bara!, de la série des Djangos. Soyez-en sûrs, ça prenait un fan de l'époque pour dégoter ce trésor.

«Qui est le plus fou de nous deux des musiques de spaghetti western? La compétition est féroce», rigole Luppi, arrangeur des disques de Gnarls Barkley, proche collaborateur de Burton et compositeur de musiques de film.

«J'imagine que ces musiques ont une signification très différente pour lui que pour moi, renchérit-il. Moi, j'ai grandi avec. Quand j'étais jeune, à la télé italienne, il n'y avait que deux chaînes; toutes les deux diffusaient les spaghettis western. Je mettais mon enregistreuse-cassette devant les haut-parleurs de la télé et j'enregistrais la musique des films. Deux heures de temps, assis en silence devant la télé!»

Ces thèmes immémoriaux ont fait naître une passion chez le jeune Luppi, qui a ensuite étudié la composition à Florence avant d'aller voir du côté des États-Unis. «C'est un ami commun à Brian [Burton] et moi qui nous a présentés, explique Luppi. Lui venait de lancer son projet «mash-up» The Grey Album. Et moi, à la même époque, je lançais un premier hommage à la musique de films italiens, avec les musiciens d'époque, intitulé The Italian Story

Les deux sont devenus amis, se disant qu'il fallait bien collaborer à quelque chose. Lors de la confection du premier Gnarls Barkley, St. Elswhere, Burton a mandaté Luppi pour les arrangements. «On s'est bien amusés, il fallait une suite.» Luppi avait sa petite idée: que dirais-tu d'aller à Rome enregistrer cette musique que j'ai composée?

Il avait encore ses contacts. Alessandro Alessandroni, guitariste et arrangeur, était sur The Italian Story. Idem pour les Antonello Vannucchi, Roberto Podio (deux fondateurs du quatuor Marc 4) ou Luciano Ciccaglioni, qui font pour Burton et lui ce qu'ils ont fait pour Morricone, Nino Rota ou Umiliani il y a 50 ans. «Mon rêve, spécialement pour ce disque, était de convaincre tout le monde, à commencer par Alessandro, de reformer le Cantori Moderni», ce choeur de huit voix dont la présence est essentielle aux films de Morricone.

«Certains étaient encore en contact, d'autres ne s'étaient pas vus depuis 25 ou 30 ans. Deux des sopranos avaient la larme à l'oeil de se retrouver dans ces mêmes anciens studios (Forum Music Village, Rome). C'était émouvant pour eux d'être ensemble à nouveau.» Plusieurs artisans de cette époque ont plus de 80 ans, insiste Luppi, «mais tous ont envie qu'on monte un spectacle autour de ce projet, avec eux. Même Jack (White) et Norah (Jones) voudraient en être. On en discute».

Ce disque vient du coeur, ça s'entend. Rome, projet chéri de deux fanas de «western all'Italiana», deux musiciens qui ont complètement assimilé l'oeuvre, célèbre, de Morricone, des frères Reverberi, Bruno Nicolai et Piero Umiliani, pour ne nommer que ces icônes de la musique de film spaghettis. Qui ont retrouvé les artisans de l'époque pour leur proposer d'en faire à nouveau, de façon fidèle à l'esprit original: pop et envoûtant.

«On est parti des références musicales à l'atmosphère des musiques des films italiens, mais en réalité, ces musiques de film originales étaient aussi de la pop. J'aime penser que Rome est un disque de pop auxquels Jack White et Norah Jones ont été intégrés. Pop, mais avec une certaine trame narrative, évidemment proche du genre cinématographique. Rome ne raconte pas d'histoire, mais j'espère que les auditeurs peuvent se construire la leur en l'écoutant.»

Le disque récolte de fort bonnes critiques, les mélomanes redécouvrent le son de l'époque, à peine dépoussiéré par Burton et Luppi.

«Ces musiques ont été composées et enregistrées à une époque de grands changements, dit Luppi. La société changeait, la musique aussi devait changer. Les compositeurs italiens ont saisi l'occasion de réinventer la musique de film en étant très créatifs, récupérant des thèmes épiques et des arrangements riches des orchestres classiques, en les combinant avec la guitare électrique, la batterie, l'orgue, des références modernes, contemporaines. Un mélange de mélodies incroyables, de musique classique et de pop.»