Que devient le jazz contemporain?  Au Festival international de musique actuelle de Victoriaville, la journée entière de samedi était consacrée au genre... et ne nous pas appris grand-chose de neuf à ce titre. Vétérans et artistes émergents nous ont maintenus dans les mêmes paramètres de perception. Forme devenue classique?

Concert-phare de la 27e programmation du FIMAV, le projet Echo Echo Mirror House d'Anthony Braxton ne fut pas à la hauteur de son passage précédent en 2007, mémorable prestation de musique contemporaine (écrite et improvisée) de son 12 (+1) Tet. Samedi, les altitudes atteintes ne furent pas les mêmes.

En bref, le prodécé consistait à mettre en jeu des fragments de pièces préalablement enregistrés, musiques sur lesquelles Braxton et ses collègues devaient extrapoler et donc créer une nouvelle oeuvre à partir de la proposition numérisée - Taylor Ho Bynum, trompettes, cornets et trombone, Mary Halvorson, guitare, Jessica Pavone, violon et alto, Jay Rozen, tuba, Assron Siegel, percussions, Carl Testa, contrebasse et clarinette basse, Anthony Braxton, saxophones.

Rappelons que le génie de la musique braxtonienne est avant tout fondé sur l'organisation même de l'interaction et sur l'exploitation du vocabulaire entier de la musique contemporaine telle qu'on l'imagine depuis les années 50. De saxophoniste créatif (dans les années 60 et 70), Anthony Braxton est devenu l'un des plus grands compositeurs issus de cette esthétique qu'on peut encore nommer jazz contemporain. Le projet s'annonçait excitant au départ, mais... la force de cette superposition de strates (préenregistrées et jouées en temps réel) a progressivement décliné jusqu'à ce que le sablier (posé sur scène par le maestro) ne laisse échapper son dernier grain au terme d'une heure.

Le concert précédent au Cinéma Laurier était celui du trio que dirige le saxophoniste Peter Brötzmann aux côtés du batteur norvégien Paal Nilssen-Love et du bassiste italien Massimo Pupillo. À la hauteur de mes attentes. On ne refait pas un Brötzmann à 70 ans, quoique le monument se laisse désormais tenter par quelques séquences mélodiques franchement touchantes. La musique de Brötzmann, qu'il ose encore nommer jazz, repose essentiellement sur une longue et puissante décharge. Le musicien allemand n'a jamais travaillé sur des concepts harmoniques très poussés, tout repose sur la texture, les harmoniques graves et aiguës et l'intensité de l'expression.

Pour que ça fonctionne à fond, il doit être propulsé par une très solide section rythmique, ce qui fut le cas. Dans cette mouvance de la musique actuelle, Paal Nilssen-Love est certes l'un des plus doués. Quelle maîtrise! À ses côtés, Massimo Pupillo use de plusieurs procédés de distorsions empruntés au noise, au hardcore et au métal, il crée ainsi un environnement de basses fréquences propices à l'expression de son employeur. Difficile de trouver un musicien septuagénaire de cette poigne, je vous assure.

Troisième concert à souligner, The Ratchet Orchestra de Montréal, trentaine de musiciens sous la gouverne du contrebassiste et compositeur Nicolas Caloia. S'il bénéficiait de moyens plus considérables, c'est-à-dire bien plus qu'une bourse lui ayant permis de créer le corpus d'un nouvel album et d'un nouveau concert, Caloia pourrait mener ses idées à un niveau encore supérieur. Ce musicien a une vraie signature, bien que son art ne soit pas toujours parfaitement ficelé. À son avantage, l'instrumentation de son grand ensemble n'est pas celui des big bands contemporains habituels, plusieurs traditions d'écriture y convergent, bien au-delà de la notion de jazz contemporain. Nous avons affaire à un collage d'influences en voie d'intégration, déphasage rythmique, dialogues entre instruments solistes, expression de chaque section (cordes, cuivres, anches, percussions, claviers, etc.), expression individuelle parfois remarquables. À ce titre, soulignons la contribution de l'altiste Jean René, un musicien de toutes les aventures contemporaines et dont on connaît trop peu les grandes qualités de soliste.

Autre habituée du FIMAV, la New-Yorkaise Zeena Parkins ouvrait le bal contemporain de samedi. La harpiste et multiinstrumentiste présentait aux amateurs ses Adorables : à l'instar de leur leader, la (surtout) percussionniste Shayna Dunkelman et le bidouilleur électronique Preshih Moments ont fait preuve de l'interaction nécessaire aux meilleures rencontres de musique improvisée. Aucun de ces trois musiciens ne peut être qualifié de virtuose, on peut dire néanmoins que tout a baigné dans la communication ici et maintenant.

Les avant-gardes prennent toutefois un coup de vieux, force est de constater chaque année à Victo. Dans la catégorie «un quart de siècle de retard», je retiens la violoniste et chanteuse autrichienne Mia Zabelka, dont l'art rappelle ce qui était hautement considéré dans les années 80... et dont l'esthétique s'est visiblement empoussiérée. Oui oui, elle prétend proposer un «jeu physique», avec petits coups d'archet traités numériquement, grincement de cordes, halètements et cris derrière lesquels des images de nature rappellent autre (nouvel) âge. En 1985, ç'aurait été cool... Idem pour le tandem australien que forment le pianiste Anthony Patheras et le batteur Max Kohane. Au bout de trois ou quatre séquences de riffs frénétiques au piano que la batterie amplifie de ses mitrailles, l'impression de redondance s'installe pour de bon. Il était vraiment temps d'aller faire dodo.

Le 27e Festival international de musique actuelle de Victoriaville se termine demain. Peter Brötzman solo, 13h, 7th Oaks, 15h, Jaap Blonk, 17h, IG Henneman Sextet 20h, Comicoperando, Music of Robert Wyatt, 22h. Pour infos : https://www.fimav.qc.ca/