Le jeune compositeur montréalais Martin Messier dirigera ce soir son orchestre composé de huit antiques machines à coudre électriques de marque Singer, manufacturées dans les années 40 et dénichées chez des particuliers dans les petites annonces. Le festival Elektra, qui a programmé l'oeuvre du Sewing Machine Orchestra, fait ainsi un détour par le passé pour présenter l'art d'aujourd'hui et de demain.

«Je ne couds pas, avoue Messier, rencontré à son atelier.Je n'ai pas d'attachement particulier à l'endroit de la couture ou de l'industrie du textile à Montréal. Dans mes projets passés, j'ai souvent travaillé avec des objets. J'ai fait une performance solo à l'aide de réveille-matins. L'amalgame de vieilles et de nouvelles technologies m'intéresse.»

Huit machines à coudre, de superbes objets, noirs avec des motifs dorés et des revêtements métalliques, trônent sur leurs trépieds. De longs fils électriques pendent des moteurs trafiqués et s'emmêlent dans de petits transformateurs, oeuvres de Samuel Saint-Aubin. Le tout est branché à un ordinateur portable.

Chaque «instrument» est pourvu d'un seul microphone. Il est très sensible et nécessite l'expertise du sonorisateur Frédéric Auger pour être entendu dans les meilleures conditions. Messier peut déclencher sa symphonie textile à l'aide d'un clic de souris ou d'un coup de pied. Lorsque l'orchestre réagit, la magie opère. Pendant les 25 minutes que dure le concert, les appareils scintillent et grondent.

«Ce ne sont pas vraiment des notes, même si quelques-unes peuvent s'échapper, explique Messier. Plutôt des timbres.» Et du rythme, surtout: des envolées saccadées, des montées de tension et des relâchements. «Ce sont des moteurs très précis; on peut les faire démarrer et arrêter en 25 millisecondes», indique le compositeur, qui ira présenter son oeuvre au festival Sonar, de Barcelone. De petites ampoules blanches fixées au corps des Singer s'allument en synchronisme avec les moteurs.

«Chaque instrument, bien que d'apparence semblable, est différent. Je ne pourrais pas en remplacer un tout en jouant la même partition, poursuit Messier. Chacun émet un son unique. Tantôt, c'est la courroie du moteur qui grince un peu plus et qui change le timbre désiré...»

Soixante-dix ans de progrès technologiques séparent les vieilles machines Singer de l'ordinateur portable qu'utilise Messier pour diriger l'orchestre. L'oeuvre du compositeur vient donc avec ses inévitables références contextuelles.

«Moi, je jubile à l'idée d'actionner et de contrôler ces machines-là. Côté composition, il y a des notions de structures et de formes qui, musicalement, sont pour moi très importantes. Maintenant, ce que les gens perçoivent, c'est complètement autre chose. Il y a une forte symbolique attachée à ces appareils. Ça devient comme un gros synthétiseur à huit notes.Derrière la technologie, il y a l'idée de pousser l'imaginaire du quotidien un peu plus loin. Il y a des trucs extraordinaires qui peuvent se passer, notamment avec les objets qui nous entourent. Ça me vient de ma formation en électroacoustique: toute matière peut être sonore.»

Jeudi soir à l'Usine C.