Lorsque l'annonce de l'exécution de Ben Laden a inondé Twitter en fin de soirée dominicale, j'étais accoudé au comptoir derrière la console de l'Olympia. Téléphone en main, j'étais à prendre des notes, je me faisais une tête ce spectacle fleuve que donnait Godspeed You! Black Emperor, dans le cadre de cette tournée qui met un terme à un long hiatus. Non, je ne suis pas rentré en catastrophe pour le discours nocturne d'Obama et les Américains en liesse autour de Ground Zero. Suis resté jusqu'à la fin.

Long métrage de plus ou moins deux heures et demie, pour ainsi dire! C'était d'ailleurs mon quatrième concert de Godspeed à vie, une expérience sensorielle ayant maintes fois fait le tour de la planète post-rock.

Avant de conclure sur cette soirée, rappelons les conditions gagnantes de ce culte encore fervent en 2011. Surgi de nulle part il y a plus d'une décennie, la facture musicale de Godspeed You! Black Emperor faisait école. Cette instrumentation à la fois proche du rock et de la musique de chambre de facture contemporaine était rarissime, avait eu tôt fait de frapper l'imaginaire.

La conjonction de plusieurs guitares électriques contribuait à ériger des murs de sons pharaoniques que renforçaient des frappes de percussions tout aussi évocatrices, le tout en alternance avec des séquences beaucoup plus douces, méditatives, presque célestes. Les cordes acoustiques (violon et violoncelle à l'époque, violon aujourd'hui), la basse/contrebasse et les fragments pré-enregistrés ajoutaient à l'approche d'ensemble une couleur très spéciale, sorte de musique de chambre d'attitude rock.

Post rock instrumental, donc.

En 2011, les guitares sont jouées par  David Bryant, Efrim Menuck, Michael Moya, la basse/contrebasse par Mauro Pezzente et Thierry Amar, les percussions par Bruce Cawdron et Aidan Girt, le violon par Sophie Trudeau.

En 2011, le pouvoir attractif de Godspeed demeure considérable parce que les structures rythmiques et modulations suggérées sont très simplement construites et donc peuvent séduire des amateurs de rock peu enclins à la complexité des musiques dites sérieuses. Rythmique élémentaire, harmonisations élémentaires - bien qu'ouvertes à des modes extra occidentaux. En fait, GYBE doit sa singularité aux textures orchestrales, jeux d'intensité et magmas sonores.

Qui plus est, le mythe de la formation montréalaise est encore alimenté par un refus presque systématique de ses membres (plutôt anarchos, plutôt radicaux, un tantinet puérils dans leur rébellion) à collaborer avec les médias institutionnels, à remplir à craquer ses salles via la rumeur et sans publicité normale, à garder très étanche le cocon. Paradoxalement, cette approche virale d'antistar antimédiatique est devenue un facteur de rentabilité.

L'effet de rareté, il va sans dire, a ravivé le culte de Godspeed depuis l'annonce de cette nouvelle tournée l'an dernier, tant et si bien que les fans se sont procuré leurs billets il y a plusieurs mois  - et je m'inclus dans cette cohorte... pas le choix! Pour faire mon travail, cependant j'ai eu l'insigne privilège (...) de ne pas faire la file pour me procurer mon billet à 12 $.

Alors? Tout ce que je viens d'écrire au sujet de Godspeed You! Black Emperor n'a pas foncièrement changé au terme de cette très longue pause envisagée en 2003. Même facture, mêmes effets massifs, mêmes courbes d'intensité, mêmes bourdons hypnotiques, mêmes maelströms, mêmes paroxysmes, même simplicité compositionnelle, même fascination exercée sur des fans qui vouent le même culte - enfin... certains ont semblé moins exaltés vers la fin de cette prestation certes généreuse, néanmoins trop longue.

Soulignons au demeurant que ce concert est coiffé par les projections de Karl Lemieux. En direct, l'artiste travaille avec la pellicule via quatre projecteurs qu'il arme de courtes séquences : au-dessus du band ombragé, plus ou moins anonyme, défilent chemins de fer, écritures anciennes, vol d'oiseaux, incendies, nuages de feu, formes abstraites en mouvement...

Voilà autant d'images parfaitement adaptées à GYBE, que d'aucuns considèrent toujours comme une bande... originale.