En avril, Serge Lama a sillonné le Québec probablement plus que n'importe quel artiste français depuis des décennies. Après une centaine de concerts en Europe, le voici donc de retour à Montréal pour pratiquer ce métier qui le fait souffrir, mais auquel il ne veut pas renoncer.

Serge Lama a une démarche dans la vie et une autre pour la scène. «Je marche de travers depuis l'âge de 22 ans, dit-il en faisant référence aux séquelles du grave accident de voiture de 1965 dans lequel sa fiancée a perdu la vie. Je devrais être mort dans cet accident, donc je suis cassé de partout. Quand je suis sur scène, je suis obligé de corriger chaque fois ma démarche et mon corps souffre puisque ça n'est pas naturel du tout.»

N'empêche, à 68 ans, ce métier lui procure encore une satisfaction à laquelle il aura de la difficulté à renoncer. «La scène, dit-il, c'est pour moi l'endroit de la grande liberté. Par exemple, depuis quatre ans, on a trouvé pour Je suis malade une ambiance coin de rue et je crois que je n'ai rien trouvé de mieux depuis que je la chante. Je suis totalement libre et je la fais comme un monologue de théâtre. Il y a une dramaturgie dans une chanson comme ça qui est quotidiennement différente. Et c'est quand même là où on prend son pied.»

La lueur dans son regard quand il parle de son spectacle actuel avec l'accordéoniste Sergio Tomassi et le guitariste Philippe Hervouët ne ment pas: «Quand on est tous les trois, c'est comme si on était six. Surtout Sergio, c'est la boîte magique.» Mais comme il met un certain temps entre deux albums - L'âge d'horizons est paru fin 2008, sept ans après Feuille à feuille -, Lama reconnaît que sa prochaine tournée pourrait bien être sa dernière. «J'aurai 70 ans et c'est un bel âge. J'aime bien les chiffres ronds et le chiffre sept est un chiffre de changement. Je ne peux pas avoir de certitude parce que j'aime tellement chanter. Mais je ne voudrais pas que mon corps décide à ma place le jour où je dirai que j'arrête. Et je ne voudrais pas non plus, comme certains artistes que j'ai vus, me présenter devant le public dans une forme ou dans une apparence physiologique qui ne me plairait pas. Alors, je gère tout ça un peu en me regardant dans la glace et en regardant dans le regard des autres, surtout parce qu'on voit beaucoup de choses dans les yeux des femmes comme je l'ai écrit dans une chanson.»

Un anachronisme vivant

Serge Lama a toujours dit qu'il était un enfant bâtard des grands de la chanson qui l'ont précédé. «Je ne me considère pas comme un grand, mais j'ai le réalisme de Piaf, la vindicte de Brel, la sensualité d'Aznavour et un peu la folie rigolote et primesautière de Bécaud. J'en ai fait une sorte de synthèse qui est devenue moi tant et si bien que je ne sais plus quand je le fais et quand je ne le fais pas.»

Il se décrit comme un anachronisme vivant qui ne correspond à aucun courant et ne suit aucune mode. «Je suis arrivé en plein yéyé et je chante des chansons. Brel, lui, était déjà là alors quand les yéyés sont arrivés, il a continué, comme Aznavour. Moi, je n'aurais jamais dû réussir.»

Malgré son succès indéniable, le milieu n'a pas toujours reconnu sa valeur et on sent une légère pointe d'amertume quand il rappelle que sa seule Victoire de la musique était en fait un prix du public pour avoir fait le plus d'entrées pour un de ses spectacles il y a 25 ans.: «Si un jour, je gagnais une Victoire de la musique, je paraphraserais Jeff Bridges aux Oscars: vous allez m'enlever le statut de chanteur sous-estimé.»

- Serait-ce parce que certaines de vos chansons sont perçues comme étant légères?

- Voilà, elles sont perçues comme étant plus légères, ce qu'elles ne sont pas. Je les ai travaillées tout autant et, en plus, elles ne sont pas légères si on les lit à plat, sans la musique. Parce que si ce n'était pas (Jacques) Datin qui avait fait la musique des Petites femmes de Pigalle, si ç'avait été Yves Gilbert, vous aviez une chanson dramatique. Mais j'étais d'accord. Je trouvais que c'était mieux de dédramatiser. Et puis, je suis quand même issu du music-hall de papa: c'était Maurice Chevalier à la radio quand j'étais petit. Je suis un chanteur de variétés, quoi. Bizarrement, j'ai toujours été à contre-courant.»

Serge Lama, les 3 et 4 mai, au Théâtre Saint-Denis