La question se pose: le phénomène Hervieux a-t-il pour effet de susciter la curiosité du grand public envers l'opéra? S'il faut se fier aux centaines de messages que reçoit le ténor, oui. Marc Hervieux est chanteur d'opéra depuis 15 ans. Mais son album et ses spectacles pop ont eu pour effet de décupler sa visibilité. Une anecdote survenue récemment en témoigne.

«Je marchais sur la rue Saint-Jean, à Québec, pour me rendre à une répétition, quand j'ai été abordé par un squeegee qui m'a dit: hey, je suppose que tu t'en vas chanter à l'opéra? Ne t'énerve pas, ça va bien aller!» raconte le ténor en riant.

«La télé a ce pouvoir-là, dit-il. Les gens qui ne connaissent pas du tout l'opéra se rendent compte en te voyant à la télé que tu n'es pas une espèce de créature bizarre parce que tu chantes de l'opéra. Certains m'écrivent et me disent qu'ils n'auraient jamais pensé s'intéresser un jour à l'opéra, mais qu'ils ont le goût d'en savoir plus et me demandent des conseils. Au départ, ce n'était pas mon but. Je fais du pop parce que j'aime ça, tout simplement, et je ne suis pas en mission. Mais quand je lis des messages comme ça, j'en suis très heureux.»

Cela ne va pas sans une certaine confusion, admet-il. Dans l'esprit du total néophyte, les frontières sont floues entre les succès crossover des Andrea Bocelli de ce monde et le véritable opéra.

«Les gens qui m'écrivent et qui ne s'y connaissent pas du tout me parlent de Vivo per lei ou de Time To Say Goodbye en pensant qu'il s'agit d'opéra, dit-il. Si c'est là qu'ils sont rendus, je n'ai pas de problème avec ça. Au lieu de leur faire sentir qu'ils ne connaissent rien, je vais leur expliquer la différence.»

Controverse

Les musiciens classiques qui sortent des sentiers battus pour explorer d'autres genres ne font pas l'unanimité. Ils peuvent être la cible de sévères critiques.

Ainsi, parlant de Marc Hervieux dans une critique de Nelligan, l'an dernier, le critique musical du Devoir, Christophe Huss, écrivait qu'il devrait «probablement choisir assez vite s'il veut être le Placido Domingo québécois ou un simili Serge Lama».

Hervieux n'est pas le premier. Depuis les années 1990, une pléthore de musiciens classiques ont enregistré des albums jazz, pop ou crossover. Mais ils ont toujours suscité des commentaires vitrioliques de la part d'une frange puriste. Le baryton anglais Sir Thomas Allen, entre autres, a dit du crossover qu'il s'agissait du «symptôme d'un inexorable déclin culturel».

Norman Lebrecht, critique musical britannique et auteur d'une douzaine de livres sur la musique, est un adversaire acharné de ce mélange des genres.

«C'est de la pornographie musicale, un succédané qui laisse à la plupart de ceux qui s'y trempent le sentiment de s'être salis», dit-il.

Il se livre d'ailleurs régulièrement à des démolitions en règle sur son blogue, Slipped Disc, où il dresse la liste des musiciens auxquels qu'il aimerait «botter» (Artists I'd like to kick). Y figurent, sur le même pied que des artistes populaires comme Susan Boyle, «Bryn Terfel quand il chante Andrew Lloyd Webber».

Tolérance

Pour Michel Beaulac, directeur de l'Opéra de Montréal, il vaut mieux ne pas se camper dans une position trop rigide.

«On peut avoir des préférences et des opinions, mais la partisanerie nous enlève une possibilité d'apprécier autre chose, dit-il. Quand Pavarotti chantait avec Sting ou avec Céline Dion, le message à retenir, c'était que l'important était d'apprécier la voix humaine dans toutes ses dimensions.»

Pour lui, le phénomène Hervieux est positif pour le monde lyrique.

«Les catégories musicales sont moins cloisonnées qu'auparavant, et les musiciens ne se sentent pas emprisonnés dans un genre, dit-il. Que quelqu'un comme Marc Hervieux fasse de la pop, pour moi, ne le rend que plus accessible au public. Cela contribue à démystifier et à faire tomber ces barrières qui, avec le temps, ont fait que l'on a associé l'opéra à une forme d'élitisme.»

Crossover

Le terme «crossover» désigne généralement une mélodie ou une pièce du répertoire classique revisitée avec des arrangements pop et une orchestration facile d'écoute ou, à l'inverse, une pièce pop avec de fortes influences classiques, soit dans sa composition ou dans son interprétation. Ce type de croisement peut aussi être effectué entre d'autres genres de musique. L'Office de la langue française lui donne la traduction très peu usitée de «musique multipublic».