Ce samedi, musiciens, mélomanes et petits entrepreneurs célébreront la santé du bon vieux support physique - le CD, le vinyle - lors du quatrième Record Store Day, ou Journée du disquaire. État des lieux d'un secteur de l'industrie de la musique qui s'accroche à sa passion et à sa clientèle pour traverser la tempête numérique. Avec succès.

«En tournée, dans chaque ville que l'on visite, on s'arrête chez un disquaire indépendant, raconte Jessie Stein, du groupe montréalais The Luyas. Récemment, on est retournés chez Mississippi Records, à Portland. Un de mes disquaires préférés, leur sélection est excellente!»

Ils sont encore nombreux, les mélomanes comme Jessie Stein qui préfèrent leur musique gravée ou encodée sur un support physique. Pour certains, l'expérience musicale passe par les disquaires indépendants - ils sont une quarantaine au Québec - qui, avec le passage de la crise du numérique, gardent vivante la mission première du disquaire: partager une passion et faire découvrir la musique.

«Un disquaire, c'est aussi une sorte de club social, un lieu de retrouvailles, une communauté faite de gens qui se préoccupent de la musique et des artistes», souligne la musicienne, qui a elle-même travaillé dans une boutique indépendante, Phonopolis, dans le Mile End à Montréal.

À l'occasion du Record Store Day, The Luyas lanceront un tirage limité d'un single 7» vinyle de la chanson When I Am a Woman, avec une chanson du groupe Twin Sister sur l'autre face.

Le groupe imite ainsi Radiohead, Deerhunter, Charlotte Gainsbourg, Flying Lotus, The Kills, The White Stripes et des dizaines d'autres artistes qui proposent une exclusivité aux clients des indés (la liste complète des parutions de samedi est disponible sur le site RecordStoreDay.com) ou bien qui offriront des concerts en magasin. Par exemple, la boutique L'Oblique, située à l'angle des rues Marie-Anne et Rivard depuis 24 ans, a prévu sept concerts à son programme samedi, dont ceux de Philémon Chante, Panache et Pat Jordache.

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Pendant trois ans, Phonopolis a eu pignon sur rue avenue du Parc, au nord de l'avenue Laurier. Au début de l'année, la boutique a déménagé rue Bernard, dans un local plus grand. «On espère ainsi pouvoir organiser plus de spectacles et de sessions d'écoute», dit le patron Nathan Gage, lui-même musicien, membre de Shapes and Sizes. Ce samedi, il y aura session d'écoute du nouveau matériel de tUne-yArds.

Un disquaire qui agrandit? Pourtant, ils ont encaissé la crise ces dernières années. Les grandes surfaces consacrent de moins en moins d'espace à la musique et de plus en plus aux accessoires pour iPod ou iPhone, aux jeux vidéo, aux coffrets BluRay. Certains indés ont aussi accusé le coup: le légendaire disquaire InBeat, point de convergence des DJ de la ville, a fermé l'été dernier après 23 ans de bons services rendus.

Mais à la faveur d'un retour du vinyle, les affaires se portent mieux chez les indés, selon les disquaires que nous avons joints. Surtout s'ils ont du vinyle en stock: chez l'Oblique, on avance que le 12» et le 7» comptent pour la moitié des ventes.

Le salut hors de la ville

Le vénérable Musique Cité, ouvert en 1958, est le dernier disquaire indépendant de la région de Sherbrooke. Son propriétaire, Sylvain Lecours, a senti le besoin d'interpeller sa communauté pour l'aider à traverser la crise, qui menaçait d'emporter son commerce l'an dernier. «Je crois quand même que le CD aura disparu dans trois ans», annonce-t-il. En janvier, il a mené une fructueuse session de brainstorming avec des citoyens pour chercher des solutions: «Il y a certainement eu un regain d'intérêt pour Musique Cité», dit-il.

«Regardez les chiffres: mars 2011, en comparaison avec l'an dernier, a connu une hausse de 47 %». La solution, déjà partiellement appliquée? Se diversifier. Offrir une plus grande sélection de titres et élargir la sélection de disques vinyles. Et, bien sûr, collaborer avec la communauté pour assurer la promotion de la boutique. Cette semaine, Musique Cité s'est même agrandi pour pouvoir accueillir de petits concerts; le premier est prévu samedi.

Scénario semblable à Rimouski: le disquaire Audition Musik s'est agrandi il y a deux ans pour mieux servir sa clientèle, qui s'y procure autant le dernier Ginette Reno que l'album d'un obscur groupe métal.

«On a pris le temps d'y réfléchir et de se diversifier pour envisager l'avenir, et je crois qu'on tire très bien notre épingle du jeu», dit Philippe, disquaire chez Audition Musik, qui croit par ailleurs que sa clientèle télécharge, légalement ou illégalement, la musique. «Malgré tout, je crois que la boutique est là pour rester.»

«Il est habituel de voir un client acheter un disque qu'il écoute déjà depuis un mois parce qu'il l'a téléchargé», indique Nathan Gage, de Phonopolis.

«Personne ne fait fortune en tenant un disquaire indépendant, mais les affaires vont bien. On fait ce qu'on aime. Je pense que la crise affecte surtout les grandes surfaces. Ceux qui s'intéressent à la musique moins populaire, plus risquée, sont ceux qui continuent d'acheter les disques. Les indépendants sont là pour eux.»