Battu, emprisonné, censuré, le chanteur tunisien Bendir Man n'a jamais voulu se taire.

Il a 26 ans. L'air de rien derrière sous son éternelle casquette militaire. Mais pour les Tunisiens, il est une véritable star.

Ne lui en déplaise, Bayram Kirani, alias Bendir Man, est devenu un des héros de la révolution tunisienne. Ses chansons satiriques et engagées ont donné courage à la population, qui les a jouées en boucle malgré la censure. Il compte aujourd'hui plus de 150 000 fans sur MySpace et près de 100 000 amis sur Facebook. Sans parler de tous les gens qui l'arrêtent dans la rue à Tunis.

Le jeune homme, qui se produit ce soir à Montréal dans le cadre des Journées de la Tunisie nouvelle, n'aime pas toute cette attention et préférerait visiblement s'effacer derrière la cause. Ce qui s'est passé dans son pays, dit-il, est le résultat d'un mouvement collectif impliquant toutes les générations et pas seulement la sienne. À l'entendre, sa contribution ne fut qu'un élément parmi d'autres. «Je n'ai pas montré la voie, ça s'est fait très spontanément», dit-il, en ajoutant qu'il se voyait «tout petit» pendant les manifestations.

Reste que Bendir Man a longtemps dit tout haut ce que plusieurs pensaient tout bas, ce qui lui a valu d'être banni depuis ses débuts. En deux ans de carrière, le chanteur n'a pas eu le droit de donner un seul concert en Tunisie, se produisant exclusivement en France et même un peu ici, à Montréal. Des jeunes qui l'écoutaient ont été arrêtés. Des programmateurs de salles qui voulaient l'engager ont été menacés par la police. Son CD, produit clandestinement, se passait exclusivement sous le manteau. Sa maison était surveillée, sa ligne sur écoute. Sans compter les nombreuses fois où on l'a tabassé et jeté en prison.

«Moi, je me pensais subtil. Mais pour le gouvernement, j'étais le summum de l'arrogance!» lâche-t-il, devant un café et un brownie.

Dans les gènes

Il faut dire que Bendir Man a de qui tenir: son père Mohamed, syndicaliste marxiste-léniniste convaincu, a passé 17 ans de sa vie en prison. Militant dès l'adolescence, le fils a instinctivement suivi les traces du paternel. «À 15 ans, je foutais déjà le bordel au lycée à cause d'une réforme», raconte cet ancien sportif, ceinture noire de karaté. La répression et les injustices sociales l'ont toujours mis hors de lui. Et c'est dans la chanson qu'il a trouvé le bon véhicule pour exprimer sa révolte.

Savait-il ce qu'il risquait? Bien sûr. «Mais je ne pouvais pas parler des oiseaux et de la vie en rose alors que les mecs de mon quartier vivaient dans la merde ou que d'autres risquaient leur vie pour aller se réfugier en Italie...»

Il est clair que sa guérilla chansonnière a porté ses fruits. Mais la bataille n'est pas complètement gagnée, souligne celui qui a déjà donné une vingtaine de concerts en Tunisie depuis le départ de Ben Ali.

Car si la vie a repris son cours, beaucoup reste à faire. «Je suis loin d'être soulagé, dit Bayram. La Constitution n'a pas encore été modifiée, les élections n'ont pas encore eu lieu. On se dirige vers un pays démocratique. Mais il y a encore un long chemin à parcourir.» Le chanteur, qui se présente comme un éternel insatisfait, ajoute qu'on peut compter sur lui pour «emmerder tous ceux qui ne veulent pas que ça change».

Il n'est peut-être le héros de sa révolution, mais il ne laissera personne gâcher le travail qui vient d'être fait.

Bendir Man, ce soir 20h, salle Marie-Gérin Lajoie (UQAM)

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Cyberdissidence à l'arabe

Au moment où vous lisez ces lignes, deux jours se sont déjà écoulés aux Journées de la Tunisie nouvelle (voir page Facebook). Outre le concert de Bendir Man, qui se produit ce soir à l'UQAM, une activité reste au programme: une table ronde sur l'apport des médias sociaux dans le monde arabe actuel (Révolution 2.0: médias et chemin vers la liberté) aura lieu ce matin de 10h à midi en présence de quatre blogueurs/cybermilitants maghrébins et de la cyberdissidente féministe saoudienne Wajiha Al-Huweidar. Avis aux intéressés: c'est au pavillon Hubert-Aquin, salle A-2860.