Depuis la fin des années 80, Terri Lyne Carrington a été une virtuose de la batterie jazz au féminin. À n'en point douter, elle fait partie de l'élite mondiale du jazz, tous sexes confondus. Elle fut recrutée par plusieurs grands, dont Herbie Hancock et Wayne Shorter, elle assume la fonction de leader d'ensemble en plus d'enseigner à la prestigieuse Berklee School of Music de Boston, là même où son immense talent fut découvert. Pour une de ses trop rares escales à Montréal, le festival Jazz en rafale a eu l'excellente idée de l'associer à l'ensemble du pianiste Rafael Zaldivar.

«Son étiquette (Effendi) a pris contact avec moi. J'ai écouté son travail, je l'ai trouvé super. Sa musique est très vivante, moderne et pose des défis intéressants. Je ne savais pas qu'il était d'origine cubaine. Je n'y ai pas entendu spécifiquement de musique cubaine. J'y ai vu un discours plus global, auquel je pouvais m'identifier.»

De la meilleure recrue du piano jazz dans l'île montréalaise, Terri Lyne Carrington compte ainsi se fondre dans la musique de Zaldivar, particulièrement celle de l'album Life Directions que suggère le pianiste.

En tant que musicienne et leader, la priorité de Terri Lyne Carrington est The Mosaic Project, qui réunit une constellation exclusivement composée de musiciennes et chanteuses top niveau: Dianne Reeves, Dee Dee Bridgewater, Nona Hendryx, Cassandra Wilson, Esperanza Spalding, Helen Sung, Tineke Postma, Geri Allen, Patrice Rushen, Ingrid Jensen, Sheila E. ou Gretchen Parlato. Le premier album de ce Mosaic Project sera lancé en juin sous étiquette Concord Jazz.

Impossible de réunir ces femmes sur une même scène pour un projet de tournée. Un tel concert boufferait le budget de deux festivals Jazz en rafale! Même les grands festivals ne pourraient se le permettre que dans le cadre d'un événement spécial. «Il y a trop de stars pour y parvenir», convient notre interviewée.

«Je tournerai plutôt avec de superbes chanteuses l'été prochain: je ferai équipe avec Lizz Wright, Angélique Kidjo et Dianne Reeves. Notre premier concert aura lieu à Montréal», annonce-t-elle.

Et puisque ce Jazz en rafale se consacre aux femmes cette année, est-ce le moment propice pour parler de condition féminine sur la planète jazz? On le sait, les jazzwomen de haut niveau détestent être réduites à cette considération.

»Ma profession s'exerce dans un monde d'hommes»

«Je n'ai pas d'objection à en parler, à condition qu'on me parle d'abord de musique. Bien sûr, ma profession s'exerce encore aujourd'hui dans un monde d'hommes. Bien sûr, l'idée de ne jouer qu'avec des femmes peut être perçue comme un cliché. Personnellement, j'ai vécu cette convergence comme un processus naturel: j'ai écouté de plus en plus de musiciennes excellentes au fil du temps et j'ai aimé jouer avec elles. Ainsi, The Mosaic Project coule de source. On me le demandait d'ailleurs depuis des années, j'y ai vu l'occasion de mettre en valeur ces femmes instrumentistes. Sans que cela ne définisse une trajectoire commune pour autant. Chacune d'entre nous se débrouille fort bien dans un monde d'hommes!»

En fait, Terri Lyne Carrington observe une réelle avancée des femmes dans le monde du jazz depuis ses débuts dans la profession. «Par exemple, il existe plus de femmes batteures de très bon niveau. Longtemps, il n'y avait que Cindy Blackman, moi-même et quelques autres.» On se permettra d'ajouter les noms de Sherrie Maricle, Marylin Mazur, Sheila E.

Aujourd'hui, Mme Carrington?

«Nous n'avons quand même pas atteint l'égalité. Même à la Berklee School of Music, beaucoup de chanteuses sont inscrites et... vraiment pas assez d'instrumentistes. Les jeunes femmes qui ont envie de faire ce métier ne doivent pas craindre de se lancer dans cette aventure, sans se demander si c'est correct ou non de jouer de la batterie ou d'un autre instrument dominé par les hommes.»

Terri Lyne Carrington se joint à l'ensemble du pianiste montréalais Rafael Zaldivar, ce soir, à 20h, à L'Astral.