Polly Jean Harvey est au sommet de son art. À 41 ans, après deux décennies de chanson rock sans compromis, elle propose Let England Shake. En attendant qu'une date de concert à Montréal se confirme, nous l'avons jointe en Angleterre, thème central de son magnifique huitième album.

Le mélange de folk, de rock ambiant, d'instrumentation variée et d'échantillonnages, le ton aérien de la voix, la poésie aride des textes, tout ça présente un visage quasiment inédit de PJ Harvey. Un renouvellement aussi étonnant que lumineux, réussi à nouveau avec le concours de ses complices Mick Harvey et Flood.

«Je crois que j'ai fait du progrès, autant du point de vue musical que lyrique», estime PJ Harvey, jointe chez elle, en Angleterre.

Musicalement, Let England Shake prend racine dans White Chalk, lancé en 2007, un disque fait de ballades au piano - instrument qu'elle a appris à jouer spécialement pour cet album - qui tranchait radicalement avec les guitares de ses précédents albums.

«Je commençais déjà à travailler sur Let England Shake à cette époque. White Chalk était une façon d'exprimer plus clairement, délicatement et simplement les idées musicales. Expérimenter avec ma voix, aussi, le registre élevé, les mélodies», autant de traits de caractère qu'on reconnaît sur le récent disque, pour lequel elle a appris l'usage du saxophone. «J'aime l'idée de jouer d'un instrument sans vraiment le maîtriser. On se concentre alors sur le feeling, plus sur les sentiments que l'intellect. J'aime la simplicité qui vient avec, ça cause des surprises.»

Côté textes, Let England Shake est un tournant dans la démarche de l'artiste: «J'ai étudié mon sujet longtemps, je me suis appliquée à enrichir mon vocabulaire. Graduellement, ces dernières années, j'ai développé une tout autre manière d'écrire et d'explorer avec les mots.»

Ainsi, pour la première fois, l'auteur du classique To Bring You My Love (1995) sort d'elle-même, évite les regards intérieurs, pour dresser un portrait, subjectif, sensible, éveillé, peut-être même controversé, de l'histoire de son pays.

C'est donc sous l'angle des conflits armés que PJ Harvey nous parle, d'une manière presque journalistique, sur le plan de la recherche: «Je voulais présenter le sujet de la façon la plus impartiale possible, justement de la même manière qu'un journaliste devrait le faire.»

À travers les guerres et les époques se mêlent dans ses chansons folk-rock les récits authentiques de soldats engagés dans la guerre d'Afghanistan et ceux, conservés dans les livres d'histoire, des rescapés de la bataille de Gallipoli, l'une des scènes les plus meurtrières de l'histoire de la Première Guerre mondiale opposant l'Angleterre, la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande contre les derniers remparts de l'Empire ottoman. Il n'y a pas à dire, on est loin de la fleur bleue.

Let England Shake est un album «politique», reconnaît PJ Harvey. «D'une certaine manière, l'album évoque les conflits qui se déroulent en ce moment, et ceux-ci sont du domaine de la politique. Cependant, je ne voulais pas soutenir un discours politique, ou d'un point de vue politique. Je voulais exprimer quelque chose d'humain, et c'est beaucoup plus facile à réaliser. Prendre le point de vue du témoin d'une guerre, c'est aborder des sentiments très bruts.»

Si le disque a pu confondre les nostalgiques des années «rock alternatif» de PJ Harvey, on peut néanmoins noter que Let England Shake a été presque unanimement applaudi par la critique. Ce disque, dit simplement, est encore le meilleur paru en 2011.

«C'est merveilleux de voir l'accueil qu'on a réservé à l'album, réagit Polly Jean. On ne sait jamais comment nos chansons finiront par toucher les gens. J'essaie toujours de donner le meilleur de moi-même, mais on ne peut prévoir la manière dont ce travail sera reçu et compris. Ça m'encourage à continuer à explorer les façons de présenter des chansons qui reflètent le monde dans lequel on vit.»

Pop-rock. PJ Harvey. Let England Shake. Island.