Deux ans seulement se sont écoulés depuis la sortie de l'album Fais-moi la tendresse. Mais Ginette Reno avait besoin d'écrire, de chanter, d'exprimer des choses à la fois personnelles et universelles: la dépression, la dépendance amoureuse, les idées suicidaires, la rupture... et aussi la guérison, la rédemption, l'émerveillement. Bref, la musique, qui l'a toujours sauvée, depuis près de 50 ans. À l'approche de son 65e anniversaire, Ginette Reno lance donc La musique en moi. Pour aller un peu haut, un peu plus loin dans sa vie.

«Je dis souvent que j'ai le feu sacré, dans le sens de «le feu, ça crée» !» lance Ginette Reno au bout du fil. «Comprenez-vous?» Oui, on comprend. Après toutes ces années, c'est toujours l'incandescente Ginette qui vibre, entre hauts et bas, sommets et abîmes, unique en son genre, capable de chanter la dépression, mais aussi la vie spirituelle, par exemple. «C'était ma volonté, de faire quelque chose de plus spirituel, cette fois. Pour la photo de la pochette, j'avais deux hommes à côté de moi, chacun sur une échelle, qui me versaient de l'eau sur le corps: je voulais un sentiment de baptême. J'ai demandé ensuite au graphiste s'il pouvait m'ajouter des larmes sur le visage, il n'a pas pu. Disons que les larmes sont dans l'album...»

Elles y sont. Mais la musique aussi y est, et cet album de Ginette Reno marque le début d'une nouvelle collaboration, manifestement féconde: c'est toujours Pascalin Charbonneau, son fils, qui réalise l'album, mais celui-ci a fait appel aux fameux frères Courcy, André et Martin, musiciens qui ont longtemps collaboré avec Diane Dufresne. Ça donne notamment un duo Ginette-guitare électrique (jouée par André) sur Folle, une chanson quasi disco: «Je me suis dit: envoye, ma grande, tu vieillis, mais t'es pas obligée de juste chanter, lâche-toi!» lance, ravie, Ginette Reno. «J'aimerais ça, si Dieu me prête vie pour faire un autre album, qu'on le fasse juste tous les quatre, Pascal, André, Martin et moi. Qu'on parte dans un endroit ensemble, avec des sleeping bags s'il le faut, et qu'on compose, compose, compose. Comme le faisaient les Beatles!»

Car elle écrit beaucoup. Dont une chanson carrément soul et baptisée Fatiguée, où elle exprime ses idées suicidaires, sans masque. «C'était pas une chanson au départ, explique-t-elle, c'était un texte que j'avais écrit pour essayer de me sortir de moi-même. Vous savez, quand Karlo est parti, je dormais 17 heures par jour. J'étais fatiguée, j'avais de la misère à marcher. J'ai eu un sevrage amoureux très violent...»

Intime

Il n'y a que Ginette Reno pour vous exposer, comme ça, sa rupture en janvier 2010 avec celui qui fut son amoureux pendant plus de 16 ans (Karlo Dhe Paganon), puis la dépression qui a suivi. Comme elle en parle d'ailleurs tout aussi simplement dans les notes du livret de La musique en moi.

«La madame était à terre, reprend-elle. Combien de fois on peut faire la 132, hein? À un moment donné, avec la belle voiture que m'a donnée René Angélil (après le spectacle sur les Plaines à Québec avec Céline Dion), je me suis dit que j'allais rentrer dans un mur, pis rentrer assez fort que j'allais y rester... Mais en même temps, poursuit-elle, quand j'ai tenu un courrier du coeur au magazine La Semaine, je me suis vraiment rendu compte de la souffrance énorme du peuple québécois... J'ai vu à quel point il y en avait qui voulaient mourir comme moi, que je n'étais pas toute seule... Alors, j'ai écrit. Juste pour en parler. En fait, c'est toutes ces lettres que j'ai reçues qui m'ont aidée pour le choix des chansons.»

Même les chansons qui semblent porter sur un sujet plus général ont la même résonance infiniment personnelle. Par exemple, Papa est en Amérique, où on croit qu'il est question de l'émigration ou d'une femme qui ment à son enfant: «Je la chante pour mon fils Pascalin, explique Ginette. Son père n'est pas présent, son père n'est pas dans sa vie, mais dans sa tête, oui. Et c'est aussi une chanson pour cet homme, qui voyage huit mois par année et qui n'appelle même pas Pascalin pour lui dire bonjour.» Pascalin, qu'elle n'a eu aucune difficulté cette fois à imposer comme réalisateur, alors que ça avait été ardu pour Fais-moi la tendresse: disons que le jeune homme a fait ses preuves, Fais-moi... s'étant vendu à quelque 200 000 exemplaires, sans compter un nombre record de ventes numériques!

Mille choses

On peut parler de mille choses avec Ginette Reno. Par exemple des deux chansons où elle parle d'elle à la troisième personne: «Le premier titre auquel j'avais pensé pour le disque, c'était «Elle, c'est Reno; moi, c'est Ginette», pour parler de cette dualité en moi, celle qui brille, pis l'autre qui brille pas pantoute!» Ou du texte étonnant de Louise Forestier (La merveille sur une musique de Diane Juster), qui clôt l'album sur l'image d'un chat qui attend sa maîtresse, chanteuse à succès: «C'est tellement paradoxal et beau, hein, cette chanson sur le fait d'être applaudie et aimée, mais finalement le chat, lui, il s'en sacre, il a juste hâte que la chanteuse revienne et s'occupe de lui.»

Ou du disque tout à fait différent qu'elle sortira en France, fin 2011. Du prochain spectacle pour lequel elle fourmille d'idées. Et de la chanson Perdu dans Montréal du chanteur français Éric Charden qu'elle reprend et du morceau qu'il lui a aussi écrit sur mesure: «J'ai fait 16 concerts avec Éric au Palais des congrès à Paris. C'est un être exceptionnel, unique dans tous les sens du mot, physique et spirituel. Il peint aussi et quand il venait me voir dans ma loge et me voyait en train de créer des chapelets, il me disait: «Je t'offre une toile, tu m'offres un chapelet!» Je lui répondais: «Je ne veux pas une toile, je veux une toune!»

Elle l'a eue. Elle s'appelle Une rose, un baiser et c'est tout, et franchement, c'est poignant: «C'est ma première chanson engagée, où je dis que ça n'a pas d'allure, la société.» Mais Ginette, est-ce que vous réalisez que Charden vous donne le rôle d'un ange dans cette chanson? Ginette Reno se tait. Puis, la voix enrouée, elle dit: «Oh, ça, c'est fin, me dire ça. Regarde donc, toi, j'avais pas vu ça... Je vais envoyer un courriel à Éric pour le remercier de ça, il ne va pas bien, il a un cancer... et je vais signer «Ginette, ton ange»!»

Chanson

Ginette Reno. La musique en moi. Melon miel/Sélect. En magasin mardi.