Mercredi, 22 h 36. Céline Dion grignote un muffin dans la loge de son mari et imprésario, René Angélil, au Colosseum. Son deuxième spectacle s'est achevé il y a une heure et la chanteuse est relaxe: «Les premières, j'haïs ça. On n'est jamais prêts. Ça ne devrait pas exister. Ça devrait toujours être la deuxième.» Conversation autour d'une nouvelle aventure qui commence bien.

Q : On raconte que vous n'étiez pas gagnée à l'idée de faire un duo virtuel avec vous-même dans votre nouveau spectacle? Que vous craigniez que ça ait l'air prétentieux?

R : Chanter avec moi-même, quel cauchemar! Quand je dis aux spectateurs à propos de Céline A (NDLR: son double projeté sur scène) «je ne sais pas comment il fait pour vivre avec elle», je me dis à moi-même «comment vais-je faire pour chanter avec elle?» Je préfère chanter avec d'autres, je trippe avec Stevie Wonder, mais il y a une touche d'humour à la fin; pour moi, c'était super important. C'est un clin d'oeil et ça ne s'est jamais vu. Mes fans ne seront pas choqués: ils me connaissent assez pour savoir que ce n'est pas prétentieux. Ce que j'aime le plus, c'est la réaction des gens: ils ne savent plus si c'est la vraie Céline, ils sont un peu mêlés. J'ai hâte que la chanson finisse parce que je chante dans la salle parmi les spectateurs et, au début, ils veulent tous me toucher. Ce n'est pas une phobie, mais je me protège le plus possible pour ne pas tomber malade. Et quand on commence à donner la main à tout le monde, ça ne finit plus.

Q : Il vous faut être très concentrée et précise parce que l'autre Céline n'arrêtera pas de chanter.

R : Oui et en plus, il y a un délai entre le son des moniteurs de scène et celui des moniteurs dans mes oreilles. Il faut que je me regarde de temps en temps pour être synchro avec la Céline A. Disons que ce n'est pas mon moment préféré du spectacle, mais je suis contente si le monde trouve ça bon. C'est important de s'épanouir et de s'amuser sur la scène, mais je suis d'abord là pour servir la musique et faire plaisir à mes fans.

Q : Ce trucage n'a été pu être présenté que lors de la toute dernière répétition devant public avant la grande première. Vous ne trouvez pas que c'est vivre dangereusement?

R : (Elle fait une moue qui signifie: oui, tout à fait) Il y a tellement de choses qu'on fait à la dernière minute. Si tu montes un show en trois mois, tu vas être à la dernière minute, mais si tu as deux ans pour le monter, tu vas être à la dernière minute pareil. Et, entre vous et moi, les répétitions devant 4000 personnes, ce sont des vrais spectacles. Moi, j'y vais au max!

Q : Mégo disait que vous n'aviez à peu près pas répété Ne me quitte pas de Brel.

R : On ne l'a pas répétée.

Q : Votre interprétation est très dramatique, vous jouez beaucoup avec les silences.

R : Ça dépend de l'émotion du moment, ça peut changer d'un soir à l'autre, mais l'idée, c'est de faire entendre les silences un peu. Tu ne peux pas précipiter ce moment-là. J'avais peur de cette chanson parce que, comme elle est en français, si les spectateurs ne comprennent pas le texte, trois minutes et demie, c'est long.

Q : Quand le metteur en scène Ken Ehrlich vous a proposé de la chanter, vous avez d'abord refusé?

R : Tout ce que je ne voulais pas faire dans la vie a été un succès (NDLR: comme My Heart Will Go On). Donc je vais continuer.

Q : Vous deviez la chanter au Stade de France en 1999, mais Mégo a décidé de la retirer parce que René luttait contre le cancer?

R : René voulait que je chante Ne me quitte pas. Je lui ai dit: «Tu vas guérir, mais tu vas me tuer. Tu ne peux pas me faire ça.»

Q : Vous semblez prendre beaucoup de plaisir à chanter You'll Have To Swing It (Mr. Paganini)?

R : Oui, mais j'ai hésité. Je disais: vous voulez me faire chanter une chanson d'Ella Fitzgerald à Las Vegas? Je ne comprenais pas, mais j'ai cédé. Plus je la fais, plus ça coule. On ne l'a pas répétée 50 fois.

Q : Le scat, ça vous vient facilement?

R : Je ne dirais pas que c'est facile, mais si ça passe et que les gens trouvent ça cute et amusant, tant mieux parce que moi, je m'amuse beaucoup à le faire.

Q : L'idée de faire un coup de chapeau à Michael Jackson vient de vous?

R : C'est parti de l'idée de l'hologramme. Je voulais faire apparaître Michael sur la scène et chanter avec lui. Mais pour le moment, pour faire ce genre de duo virtuel, il faut que l'artiste vienne faire son truc, comme Stevie Wonder. Or, Michael est décédé. Peut-être que la technologie va le permettre dans cinq ou dix ans.

Q : Avez-vous douté que vous puissiez être prête pour la première du 15 mars?

R : À l'hôpital et quand je suis arrivée à la maison avec mes deux petits, je ne pouvais pas croire qu'il fallait que je monte un show. J'ai essayé d'entraîner ma voix pendant ma grossesse, mais mon diaphragme était complètement écrasé. J'étais très grosse.

Q : Avez-vous l'impression que vous êtes la seule au monde à faire ce genre de spectacle?

R : Aie, commencez pas! Je ne suis pas sortie du bois avec ce show-là!

Q : C'est une grosse production.

R : C'est ce qu'on voulait faire. La première fois, on a passé cinq ans à Las Vegas et tout le monde prédisait qu'on allait se planter. Ça a tellement bien marché qu'on a voulu apporter à Las Vegas un côté chic. Il faut se débarrasser de la vieille perception de Las Vegas: les filles, la boisson, la drogue, le casino, le gambling, les bars. C'est possible de passer une fin de semaine ici, d'aller faire du shopping, d'aller voir des shows, de bien manger. Et de faire des shows qui ont de la classe avec de grands orchestres et des belles robes. Le chic d'Hollywood à la moderne. Je suis sûre qu'après ce show-là, plein d'artistes plus jeunes comme Christina Aguilera et Michael Bublé vont vouloir donner leur spectacle ici.

Q : C'est un spectacle où il y a beaucoup de surprises.

R : Oui, mais je trouve que c'est un show épuré avec des textures et des couleurs différentes. James Bond, Michael Jackson, Mr. Paganini, mes anciens succès, River Deep, Mountain High, Ne me quitte pas, ce sont tous des blocs de couleurs différentes. Souvent, on construit un show pour qu'il prenne comme un pain. Nous, on va du blanc au noir, au rouge, au jaune et au vert. Il ne faut pas avoir peur de faire ça, mais il faut être sûr de soi. Je cours beaucoup dans ce show-là. Mais ce qui m'aide, c'est que vocalement, ce n'est pas tout le temps pareil. J'ai le temps de récupérer. C'est plus relaxant, plus facile.

Q : René nous a confirmé qu'on vous avait offert une prolongation de votre contrat de trois ans au Colosseum et qu'il y réfléchissait. Qu'en pensez-vous?

R : Moi, 70 shows par année, je n'ai pas de problème avec ça. Je ne veux pas que vous pensiez que je lève le nez sur mon gagne-pain. Je ne le fais pas parce que j'ai besoin de ça, mais c'est sûr que c'est super intéressant. Et ça assure la sécurité financière de nos enfants plus tard. S'il faut pour cela mettre ta vie de famille ou de couple en danger, non. Mais je viens faire 70 shows, ils me donnent ce que je veux et je fais un show que j'aime, les jours et les semaines où René-Charles n'a pas d'école. C'est le meilleur des mondes.

Q : Est-ce que vous planifiez quatre ou cinq ans d'avance comme votre mari?

R : (Pause) Moi, j'ai moins peur que lui. C'est à cause de son âge, je pense. Il s'inquiète tout le temps, il ne veut pas qu'on manque de rien et il a peur de ne plus être là. J'ai l'impression qu'il vit au moment présent. Moi, je suis moins inquiète, je suis plus jeune. J'ai toujours fait confiance. Mais René veut assurer notre avenir, à ses enfants et moi. Donc s'il reçoit une offre super intéressante, il va me la proposer. Pourquoi pas? Je me dis: on verra. Mais lui, des «on verra», il a peur de ne pas voir ça. René, c'est notre ange gardien.