Une minuscule blonde saute rageusement sur scène; un échalas tatoué rappe en afrikaans dans un micro en forme de pénis géant: le groupe Die Antwoord a percé en et hors d'Afrique du Sud en jouant aux Blancs trash sans aucune retenue.

Sur les fesses de Yo-Landi Vi$$er, une nymphette qui semble avoir inhalé de l'hélium, s'affiche le credo du groupe: «Fok jou», «allez vous faire enculer» dans un anglais mâtiné d'afrikaans, la langue des premiers colons européens.

Ce nihilisme à la vulgarité assumée a mené Die Antwoord («la réponse») loin des faubourgs populaires sud-africains qu'il met en scène dans des vidéos hypersophistiquées.

Créé en 2008, le groupe a effectué une percée fulgurante sur le web en février 2009, quand un documentaire pastiche The Zef Side, en référence à une culture alternative sud-africaine, a contaminé des centaines de milliers d'internautes en quelques jours.

Tant et si bien que le clip a été sélectionné par la prestigieuse fondation Guggenheim, temple de l'art contemporain, comme l'une des 25 meilleures vidéos distribuées sur internet au cours des deux dernières années.

«En fait, c'était la meilleure des 25», assure avec défi Ninja (de son vrai nom Watkin Tudor Jones), le leader de Die Antwoord, qui a depuis signé avec le label américain Interscope (comme Eminem, Lady Gaga, les Black Eyed Peas...).

Le groupe, dont le 3e acolyte est DJ High-Tech, n'a sorti qu'un seul album, $O$. Son style ? «Du rap-rave Zef», selon Yo-Landi.

Ce courant emprunte des symboles ringards aux classes populaires pour les mettre à la mode. «Ma coupe de cheveux est Zef», résume Ninja, les cheveux longs dans la nuque et rasés au dessus des oreilles.

Le but est de créer un choc. «Les gens ne sont pas obligés de regarder les accidents de voiture, mais ils ne peuvent pas s'en empêcher», compare le chanteur avec cynisme.

Sous la provocation permanente - au détour de l'entretien, il propose de faire humer ses aisselles parce que «ça sent l'Afrique du Sud» -, Watkin Tudor Jones cache un artiste chevronné. À 36 ans, il est une figure de la scène hip hop locale, ayant emprunté diverses identités pour des groupes comme The Original Evergreens ou The Constructus Corporation.

Véritable caméléon, il n'est même pas Afrikaner. «Ninja est un superhéros, un super-moi», justifie-t-il. «Qui est le plus réel de Superman ou Clark Kent?»

«J'absorbe la vie, l'Afrique du Sud», explique l'artiste, qui emprunte beaucoup à la culture gangsta des métis du Cap, mais s'est aussi associé à un rappeur noir, Wanga, pour le titre Evil boy, une condamnation de la circoncision rituelle chez les Xhosas.

«Je suis comme un collectionneur et je libère mes infos sur scène, dans une putain d'explosion», poursuit-il. «C'est ça le spectacle!»

Pour le critique musical Roger Young, Ninja exprime parfaitement «la culture bâtarde et violente» de l'Afrique du Sud: «Il y a une rage ici: à cause du passé, on a hérité d'un pays niqué. Ça nous met en colère, mais en même temps, il faut l'accepter.»

Les concerts de Die Antwoord «semblent très lourds, mais ils permettent en fait de décharger notre agressivité», assure le journaliste.

Une fois l'effet de surprise passé, le groupe, qui doit sortir un nouvel album Tension en septembre, va-t-il survivre? «On fait nos trucs, et quand on en aura marre, on passera à autre chose», anticipe Ninja.

En attendant, Yo-Landi s'éclate. «Le putain d'avenir, c'est ici et maintenant. On s'le prend en pleine face!»