Il y a 20 ans déjà, un 2 mars, qu'à l'âge de 62 ans, Serge Gainsbourg s'en est allé fumer ses havanes avec vous savez qui. Après cette semaine de commémorations, voici, en édition limitée de 9000 exemplaires, une nouvelle intégrale comprenant 22 enregistrements (ou versions) inédits. L'occasion de jeter un regard sur l'oeuvre moins connue du prolifique et influent auteur, compositeur et interprète.

Un bel objet que cette intégrale. La troisième, après De Gainsbourg à Gainsbarre (9 CD, 1989) et Gainsbourg... Forever (19 CD, 2001). Elle pèse lourd, à l'image de l'héritage laissé par l'artiste.

Gainsbourg est présenté comme un gros livre, 30 cm sur 30 m, de format semblable à celui de l'intégrale de 27 CD de Bashung parue il y a deux ans. Les 20 CD sont disposés, quatre à la fois, sur des pages de carton; sont incluses des photos papier glacé de même format que le livre, et un livre d'une soixantaine de pages contenant une biographie.

Puis, la musique. L'oeuvre complète, agrémentée de trouvailles. De vrais inédits: Comme un boomerang, duo avec Dani, lequel enregistrement se trouve aussi sur le double album en magasin bientôt. D'autres? Les papiers qui collent aux bonbons, de l'époque Vu de l'extérieur (1973). L'escroc, chanson destinée à un film, glissée sur le 19e disque, Gainsbourg Cinéma.

Les fanas plongeront avec joie dans le fabuleux 18e disque, Archives télé/radio - 1957 à 1974. Du joli, du nouveau sur CD: sa première création de La Javanaise en 1962, l'inédite La cigale et la fourmi (1961), le pianiste interprétant Chopin (Valse de l'adieu, 1962)... Et tant qu'à chercher la rareté, nous retournerons écouter les albums Initials B.B., Vu de l'extérieur, et Aux armes et caetera, les plus généreux en versions alternatives.

Gainsbourg de l'ombre

La légende a laissé une pelletée de classiques de la chanson française, de premiers albums indémodables - le jazzé Confidentiel (1963) et Gainsbourg percussions (1964) -, et ses incontournables disques-concepts, L'homme à la tête de chou (1976) et surtout Histoire de Melody Nelson (1971), célébré jusque dans le monde anglophone. Et les autres, ces disques dans l'ombre de la légende? Voyons-y.

Vaguement conceptuel, Vu de l'extérieur est un fantastique et touchant album malgré ses écarts de langage pipi-caca-poil. On oublie les classiques qu'il recèle, Je suis venu te dire que je m'en vais, Sensuelle et sans suite, Vu de l'extérieur et la méconnue Par hasard et pas rasé. À redécouvrir d'urgence.

Le suivant, Rock Around the Bunker (1976), est une provocation qui souffle le chaud et le froid. Loufoque et inquiétant à la fois, Gainsbourg tourne en dérision le nazisme, un trait qui avait été mal compris (et très mal accueilli) à sa sortie. De plus, le pastiche de vieux rock'n'roll tient moins bien la route - c'est sans doute un des disques les moins rigoureux, musicalement parlant.

Passé la bénéfique époque reggae, on plonge dans le Gainsbarre des années 80. Ses deux derniers disques: Love on the Beat (1984) et You're Under Arrest (1987). Les textes du dernier, de facture funk à la Prince, sont dans l'ensemble plus intéressants - encore un concept, cette fois du vieux cochon pourchassant Samantha dans le Bronx -, mais Love on the Beat est nettement meilleur.

Avec le retour en force des sonorités new wave dans la pop contemporaine, on réécoute Love on the Beat avec curiosité. Certes, les propos y sont pornographiques (la chanson titre, la «scandaleuse» Lemon Incest), mais la production électro-pop, étonnamment juste, rend la voix de Gainsbourg encore plus sulfureuse. On s'étonne de constater à quel point cet album a bien vieilli.

Enfin, si Gainsbourg a toujours passé pour meilleur mélodiste qu'arrangeur, l'écoute de son oeuvre pour le cinéma, surtout ses compositions instrumentales, est très instructive; on y repère beaucoup d'idées musicales qui serviront plus tard à pondre ses succès.