Double lancement de disque ce soir à la Sala Rossa. D'abord New History Warfare, Vol. 2 du saxophoniste et compositeur Colin Stetson. Ce Montréalais originaire du Michigan est reconnu autant pour ses spectaculaires et inventives oeuvres solo que pour son travail d'accompagnateur auprès d'Arcade Fire, LCD Soundsystem et Tom Waits, pour ne nommer qu'eux. Puis Ravedeath, 1972, du créateur électro expérimental Tim Hecker.

Il n'y a qu'à écouter pour mesurer l'ampleur de la tempête et du sentiment de solitude qui traverse Ravedeath, 1972. Les assourdissants vrombissements, les nappes de basses fréquences, le cycle des montées de tension et de relâchements érigé pendant 52 essoufflantes minutes. Les quelques cloches, timbres d'orgues et de piano apparaissent ainsi comme de petites bouées de sauvetage auxquelles s'accrocher avant d'être englouti.

La musique est brute, l'émotion partagée. C'est la grande force de Hecker, compositeur de la frange, malaxeur d'ambiant et de bruitisme, sa capacité à extraire des harmonies séductrices de ces sons. Un pied dans la mouvance populaire et un autre dans l'académisme, puisque le doctorant enseigne «à temps partiel» la culture du son (Sound Culture) à l'Université McGill sans avoir étudié la composition ou la maîtrise d'un instrument.

«J'ai déjà approché le département d'électro-acoustique, je cherchais quelqu'un avec qui travailler pour une trame sonore, raconte-t-il. On ne m'a jamais rappelé.»

Son oeuvre, pourtant, fait le tour du monde. Les étiquettes Fat Cat, Mille Plateaux et Kranky ont édité ses albums, admirés par les amateurs du genre. «Je ne suis pas vraiment un artiste qui connaît une grande carrière sur scène, je pars en tournée deux semaines à la fois. J'ai ma famille ici, le cours que je donne, et le travail en studio compte avant tout.»

Ravedeath, 1972 marque un changement dans la démarche de Hecker, après l'emphatique An Imaginary Country, il y a deux ans. Le musicien acquiesce: «Chacun de mes albums est le reflet de la période que j'ai prise pour le concevoir. Avec le recul, je mesure mieux la différence entre ces deux albums, mais ça ne m'apparaît jamais clairement au moment où j'y travaille.

«Je voulais une musique qui se démarquait par sa présence, disons, physique, poursuit-il, qui respire, avec des moments de silence parsemés dans le bruit. La dimension physique de cette musique explique mon choix d'enregistrer une partie de l'album dans une église» en Islande, avec ses collaborateurs. «C'est, je crois, ce qui distingue Ravedeath, 1972 de mes autres albums, un espèce d'hybride entre un album live et un album studio.»

L'église, l'Islande, le titre sombre et la photo vertigineuse qui accompagne le disque - la pochette est un vieux cliché d'étudiants qui balancent un piano droit du haut d'un édifice -, font partie d'un processus «à la fois douloureux et poétique», explique le musicien.

«Le titre, la pochette, je pense à tous ces détails une fois l'enregistrement complété. La musique se suffit à elle-même, elle ne nécessite pas d'explications. Mais puisqu'il faut mettre l'album en marché, je fais des choix. Le plus difficile est de trouver quelque chose qui puisse ajouter à la musique ou qui lui confère quelque chose de presque ésotérique.»

Quant à l'interprétation de la douleur qui transperce cet album, à l'auditeur de se faire son idée. Un indice: l'un des titres évoque Glend Gould. Ah! et sans entrer dans les détails personnels, on peut cependant rapporter que Hecker peine à se débarrasser de sa vilaine grippe. «Mais je serai guéri pour le concert de jeudi», échappe Hecker entre deux toussotements.

______________________________________________________________________________

Ravedeath, 1972 paraît mardi prochain.