À Montréal, les bars africains ont la réputation de ne pas tenir très longtemps. Avec une durée de vie moyenne excédant rarement deux ou trois ans, ils sont généralement remplacés par d'autres... qui ne durent pas plus longtemps.

Une exception et une seule: le Club Balattou, qui célèbre cette année son 25e anniversaire de naissance.

Véritable institution du Montréal africain, le Balattou a traversé les modes et les vagues d'immigration sans coup férir. Plusieurs stars des musiques du monde se sont produites sur sa petite scène, alors qu'elles étaient encore inconnues en dehors du continent noir. Qu'on pense à Baaba Maal et Ismaël Lô du Sénégal, Mahlathini & The Mahotella Queens d'Afrique du Sud ou Papa Wemba de la République du Congo. L'endroit est aussi devenu le quartier général de la scène world montréalaise, qui en a fait sa principale vitrine à travers les ans.

«J'ai eu une vision, je ne me suis pas trompé», lance son fondateur, Lamine Touré, 61 ans. «Et cette vision, c'était de créer une place métissée, qui offrirait toutes sortes de musiques pour toutes sortes de monde. Je ne voulais surtout pas d'un ghetto. C'est pour cette raison que j'ai baptisé l'endroit Balattou. Balattou comme dans «Bal à tous».»

D'hier à aujourd'hui

Guinéen d'origine et danseur-chorégraphe de formation, Touré débarque à Montréal en 1974, alors que la communauté africaine se résume à environ 12 personnes. Il ouvre son premier bar, le Café Créole, en 1976, et l'endroit devient vite le point de chute des nouveaux arrivants. «Le taxi les amenait directement de l'aéroport au bar», raconte Touré. Insatisfait, il quitte le Café Créole en 1981 pour ouvrir une usine de vêtements sur l'avenue du Mont-Royal. Ce n'est qu'en 1985 qu'il décide d'ouvrir un nouvel établissement, en rachetant le fonds de commerce d'un ancien bar de danseuses... dont il ne gardera que les miroirs!

Au rythme des vagues d'immigration africaine à Montréal, la faune du Balattou s'est diversifiée. Il y a eu les Ghanéens, les Éthiopiens, les Congolais, les Maghrébins, sans oublier les latinos et les Québécois(es) en mal d'exotisme qui ont rejoint le «bal à tous». En 1986, Touré a par ailleurs fondé le festival Nuits d'Afrique, devenu un incontournable, et plus récemment le concours des Syli d'or, sorte d'American Idol de la relève world montréalaise, dont la cinquième présentation débutera jeudi soir dans le cadre des festivités entourant le 25e.

On lui fait remarquer qu'il fallait un bon sens des affaires pour durer et croître ainsi. Il répond qu'il n'entend rien à ces choses, qu'il laisse plutôt à Suzanne Rousseau, sa partenaire depuis le début. «Mon truc à moi, c'est le culturel», tranche-t-il, sans appel.

Et la retraite? Il n'y pense même pas. «Pour faire quoi? demande Touré. Je ne peux même pas fonctionner le jour! Quand j'étais jeune, je suivais mon père dans ses voyages commerciaux en Guinée, au Mali et au Burkina Faso. On voyageait la nuit parce que le jour, il faisait trop chaud. Depuis, je suis resté un gars de soir...»

Trois soirs de spectacles

Trois soirs de spectacles gratuits. C'est ce que propose le Club Balattou pour souligner son quart de siècle.

Wesli, grand espoir des musiques du monde à Montréal, se produira demain soir avec Khalil Abouabdelmajid (de l'excellent groupe fusion maghrébine Bambara Trans), Karim Benzaïd (du groupe marocain Syncop) et Seneya, du Sénégal. Ils seront précédés du Brésilien Paulo Ramos et d'un trio de koras mené par le Sénégalais Zal Idrissa Sissokho.

Mercredi, place à la fête tropicale de Jab Jab, un des premiers groupes à avoir foulé les planches du Balattou. Le duo de guitaristes camerounais Cécile Doo-Kingué et Manu Atna Njock, le guitariste péruvien-haïtien Ramon Cespedes (de la formation Kebeko) et l'intrigant multiinstrumentiste ougandais Kinobe compléteront une partie de la programmation.

Jeudi, enfin, on lance les 5es Syli d'or de la musique du monde, LE tremplin pour la scène world montréalaise, avec le groupe Estaçao de Luz et le duo Aboulaye Koné-Bolo kan, gagnants du concours en 2008 et 2009. Au club Balattou (4372, boulevard Saint-Laurent), les 25, 26 et 27 janvier.