Dès qu'il est entré en fonction, le maestro Kent Nagano s'est fait un devoir de marteler qu'il fallait une nouvelle salle de concert à l'OSM, une nouvelle salle de concert pour Montréal. En cela, il ne faisait que reprendre le flambeau allumé 30 ans plus tôt par Zarin Mehta, puis repris par Charles Dutoit. Kent Nagano n'a pas fait mieux que ses prédécesseurs. Mais il est arrivé à un bien meilleur moment sur le plan politique, face à une ministre des Finances déterminée à ce que le dossier se règle sous son règne. De sorte qu'après plus de 30 ans d'attente et d'atermoiements, la salle mythique et fantasmée est devenue une réalité.

Depuis, pas une maquette dévoilée, pas une pelletée de terre, pas un trou creusé, pas une visite de chantier ne s'est faite sans la bénédiction de Kent Nagano, qui crie toujours présent quand il est question de SA salle.

Et puis, subitement cette semaine, plus de Nagano. En lieu et place, Yannick Nézet-Séguin, casque de construction sur la tête, fait visiter le chantier aux médias, donne ses impressions sur la qualité de l'acoustique et se comporte comme le nouveau propriétaire des lieux. Le lendemain à la radio, il corrige René Homier-Roy. « Cette salle n'est pas la salle de l'OSM. C'est la salle des Montréalais. «

Ah bon! Est-ce qu'on a manqué quelque chose? Est-ce qu'on a oublié de nous dire que la donne avait changé?

On pourra toujours trouver une logique dans cet étrange revirement. Nézet-Séguin revenait en ville, cette semaine, auréolé de sa gloire internationale après une longue absence. Il revenait en plus pour diriger l'Orchestre Métropolitain à Wilfrid-Pelletier et comme l'OM donnera une douzaine de concerts par année dans la nouvelle salle, ceci expliquait cela. Ce qui s'expliquait moins, c'est le ton du maestro québécois et son absence de reconnaissance envers un orchestre - l'OSM - sans lequel il n'y aurait jamais eu de nouvelle salle. Yannick Nézet-Séguin est pourtant un garçon bien élevé, mais ce coup-ci, disons qu'il a carrément manqué de tact. En même temps, ce n'est pas lui qui a organisé la visite de chantier. Pas lui qui a mis en scène ce coup médiatique. C'est la Place des Arts, de concert avec le ministère de la Culture. Devons-nous voir dans cet événement pas si innocent le signe d'une guerre entre l'OSM et la Place des Arts, qui se partagent la direction artistique de la nouvelle salle? Ce serait dommage.

Mais si c'est le cas, j'aimerais rappeler certains faits colligés par le très respectable journal The Guardian, au sujet de l'état précaire des orchestres symphoniques nord-américains. L'orchestre symphonique de Detroit est en grève. Tous ses concerts sont annulés et sa prochaine saison, compromise. Pour survivre, l'orchestre de Baltimore a imposé des baisses salariales draconiennes à ses musiciens qui se disent dévastés. L'orchestre de Charleston en a fait autant avant d'annuler tous ses concerts pour l'année. L'orchestre de Cleveland fait face à un déficit de deux millions. L'orchestre d'Honolulu, fondé en 1900 et qui a résisté à deux guerres et à une dépression, est en faillite et silencieux depuis novembre 2009.

Pas besoin de continuer pour saisir le portrait général. Les orchestres symphoniques en Amérique du Nord ne vont pas bien. Leurs abonnés vieillissent. Les jeunes sont, aux abonnés, absents. La crise économique a appauvri leurs plus généreux donateurs et comme les orchestres américains ne jouissent pas des largesses de l'État, ils ont de plus en plus de difficultés à garder la tête hors de l'eau. Le contexte est différent chez nous, grâce notamment au soutien des gouvernements. Montréal en plus jouit d'un bon bassin de mélomanes fidèles qui, pour l'instant, ne crient pas à la saturation. Mais surtout, cette ville abrite deux grands chefs de réputation internationale qui attirent des foules et font marcher la machine symphonique. C'est le moment ou jamais de rapprocher ces deux astres issus de planètes différentes. Pas de les pousser à se crêper le casque de construction.