«C'est bien la première fois que vous utilisez des instruments sur un disque», a lancé une amie des Charbonniers de l'enfer en écoutant le nouvel album du quintette masculin. Et pourtant, non, il n'y a aucun instrument sur ce disque, si ce n'est des cordes vocales qui chantent et turlutent, des mains qui claquent, des bâtons qui frappent le sol ou des pieds qui tapent «en mocassins, en pieds de bas ou nu pied». Comme cela se fait depuis des siècles. Mais, cette fois, pour chanter notre siècle.

On appelle ça le «bourdon» ou «drone»: la vibration produite par plusieurs cordes (vocales ou autres) ou plusieurs anches qui tiennent une même note ou un long accord continu. La musique celtique, la musique indienne, l'emploi du didgeridoo en Australie, la musique classique japonaise et plusieurs autres reposent notamment sur le «drone».

 

 

 

Tout comme la musique du groupe québécois a cappella Les Charbonniers de l'enfer, qui lançait cette semaine Nouvelles fréquentations, son cinquième album en 15 ans - son septième si on compte celui enregistré en compagnie de Gilles Vigneault en 2007 et un autre conçu avec la compagnie de musique ancienne La Nef en 2008.

«C'est notre créneau, le bourdon, tenir certaines notes longtemps avec simplement nos voix, explique Michel Faubert, ça fait partie de notre façon de chanter depuis nos débuts. En musique traditionnelle, c'est répandu. Mais, et ça surprend les gens, le rock est aussi une bonne musique à bourdon. C'est la chanson qui, parfois, ne l'est pas.»

Pourtant, inspirés par leur collaboration avec Vigneault et ce qu'ils ont réussi à faire avec certaines des chansons de l'homme de Natashquan, les cinq gars ont eu l'idée de poursuivre sur cette lancée: «charbonniser du pas folklorisable», pour reprendre les mots de Michel Bordeleau. Ils se sont donc mis à l'ouvrage pour trouver des chansons contemporaines (mais pas des hits), les déshabiller de leurs atours orchestrés et les rhabiller de manière à en faire des quadrilles actuels et des complaintes modernes.

Ça donne du Dédé Fortin (son ultime texte), du Plume, du Noir Désir ou du Daniel Lavoie «charbonnisés» de très belle façon: «La chanson La comète de Dédé, c'était la première sur la pile, on voulait tous la faire», dit André Marchand. Pour ce qui est de la chanson Le vent nous portera, «la plupart d'entre nous ne connaissaient pas Noir Désir, ni ce qui est arrivé entre Bertrand Cantat et Marie Trintignant, explique Normand Miron, c'est le texte de la chanson qui nous a vraiment touchés.»

Le wagon, adaptation en français de Boxcar de Neil Young, est l'oeuvre de Jean-Claude Mirandette: «Ça fait deux ans que je cherche une chanson de Young à adapter, parce que je trouve qu'il a le don rare de composer des mélodies lentes, explique Mirandette. Un moment donné, m'est venue l'idée de cette chanson qui parle des «wobos de track», le monde qui «saute les trains» de marchandises pour voyager, il en existe encore...»

Ô Marie de Daniel Lanois touchait une corde particulièrement sensible chez Normand Miron: «J'ai travaillé au tabac, plus jeune, pis je le sais comme c'est difficile, comme vie. Cette chanson-là, c'est la première qu'on a «réinventée» à notre façon, et disons qu'elle a quelque chose d'un gospel, d'un chant d'esclaves aussi.»

Contre toute attente, Léopold Gibouleau de Plume est plutôt récitée: «Et avoue que le texte est heavy rare quand il est dit», lance Michel Faubert. Effectivement, la violence décrite dans le texte rentre comme une tonne de briques dans la gorge, étrangement plus que lorsque la chanson est chantée!

Autre chanson sur les cruautés de ce monde, le très beau texte Bienvenue chez les humains est de la Française Anne Sylvestre et mis en musique par la Québécoise Josiane Hébert. Pour sa part, Nikana faisait partie du très beau disque Katak de Florent Vollant - et disons qu'elle convient tout à fait au «drone». Hold-up de Plume et Stephen Faulkner est carrément dansante!

Et comment ne pas rire devant la très formelle Chanson des toilettes de Bertolt Brecht et Kurt Weill (ce qui en fait la chanson la plus ancienne du disque!): oui, c'est bel et bien un hymne au «trône» qu'on trouve dans toutes les maisons, là où aime réfléchir «l'homme, roseau mangeant». «J'adorais la version qu'en faisait Pauline Julien sur son disque hommage à Brecht et je trouvais que ça venait tout mettre en perspective!» dit en riant Michel Faubert.

Le disque lui-même se termine sur une toune western qui parle des avocats, juges et autres notables qui se retrouvent en prison: c'est Marcel Martel qui la chantait en 1973, après l'avoir adaptée en français. L'originale, elle, In the Jailhouse, est de l'Américain Jimmy Rodgers, en 1928. Et voyez comme c'est étrange: en 1928 comme en 1973 ou 2010, aux États-Unis ou ici, elle est toujours d'actualité! Ça parle au diable... et aux Charbonniers de l'enfer.

TRAD

LES CHARBONNIERS DE L'ENFER. NOUVELLES FRÉQUENTATIONS. LA TRIBU/DEP.