Au milieu des années 90, l'enregistrement d'une rencontre au sommet entre musiciens maliens et cubains fut finalement reporté par son producteur, qui dut se rabattre sur la confection... du premier album du Buena Vista Social Club ! En 2010, ce projet devient réalité, en témoigne l'excellent album Afrocubism dont la matière sera jouée ce vendredi au Métropolis.

«Le Britannique Nick Gold, propriétaire du label World Circuit, en avait eu l'idée. Il avait fait parvenir nos contrats à Bamako mais... Le consulat cubain étant alors au Burkina Faso et non au Mali, les visas des musiciens ont mis trop de temps à nous parvenir», se rappelle Bassekou Kouyaté, virtuose du n'goni, un instrument traditionnel malien.

À cause de la lenteur des procédures, Nick Gold avait dû changer ses plans, c'est-à-dire embaucher le célèbre musicien américain Ry Cooder afin de réaliser l'album historique des fameux pépés cubains. Par la suite, les Compay Segundo, Ibrahim Ferrer et autres Ruben Gonzales ont surfé sur cette vague... jusqu'à ce que mort s'ensuive. En quelques années, les plus célèbres figures du Buena Vista sont effectivement passées à une autre dimension vu leur grand âge.

«Avec cet immense carton du Buena Vista Social Club, je n'étais vraiment pas content d'avoir loupé cette occasion. Ce n'était donc pas facile pour nous qui avions participé à l'idée de départ. Par la suite? De notre côté, c'est devenu de plus en plus difficile parce plusieurs d'entre nous sommes devenus leaders de groupes.  On a des engagements avec des labels, des tournées... On a néanmoins réussi à faire», relate Bassekou Kouyaté,  heureux de la tournure des événements.

Il lui a quand même fallu attendre jusqu'en 2010 pour que cette rencontre Mali-Cuba se produise! Ainsi, l'album Afrocubism a requis la participation de plusieurs musiciens d'élite, dont le sonero cubain Eliades Ochoa, le spécialiste malien du ngoni Bassekou Kouyaté ou le grand maître de la kora Toumani Diabaté. Ces derniers sont respectés sur la planète entière, ayant travaillé avec entre autres Damon Albarn, Björk, Herbie Hancock, Belà Fleck, Dee Dee Bridgewagter ou Taj Mahal.

Avec les Cubains?

«Nous nous sommes rencontrés dans un studio de Madrid, raconte Bassekou Kouyaté. Nous avons branché les instruments, nous nous sommes expliqués. Vingt minutes plus tard, nous nous sommes mis mis à jouer. En six jours, nous avons enregistré une vingtaine de morceaux. Rien n'était vraiment planifié, nous ne nous étions jamais vus auparavant! D'autant plus que nous ne parlons pas la même langue. Quelqu'un faisait la traduction, nous communiquions par gestes.

«Chose importante, nous avons laissé à chacun le soin de diriger les opérations pour les morceaux qu'ils proposaient. Il y avait un chef différent par chanson. Nous avons choisi de faire des pièces originales et des adaptations de pièces traditionnelles. La connexion s'est très bien faite. C'est un miracle que l'on se soit connus. Nous avons formé une famille!»

Enchantés par le résultat, les virtuoses africains estiment avoir atteint l'équilibre avec leurs homologues.

«Les Cubains n'y ont pas joué la musique malienne, les Maliens n'y ont pas joué la musique cubaine. Nous avons chacun joué notre musique, nous les avons mises ensemble et ça a donné naissance à une nouvelle musique, un nouveau bébé qui a maintenant besoin de grandir», pense Toumani Diabaté.

Il faut néanmoins comprendre que des différences de niveau existent entre les deux groupes. Les Maliens ici impliqués sont des virtuoses de la musique «classique» mandingue alors que les musiciens cubains sont tributaires d'une musique populaire de grande qualité.

«Aujourd'hui, estime Bassékou Kouyaté, la musique malienne est de renommée mondiale. On a beaucoup de ressources, et je dirais que la musique afrocubaine est africaine. Cela dit, ça s'est très bien passé avec les Cubains.»

«Nous, musiciens maliens, avons la chance de jouer avec des musiciens de cultures différentes, ajoute Toumani Diabaté. Pour les Cubains avec qui nous avons travaillé, c'est différent parce qu'il ne jouent généralement que leur musique.  L'idée que les Cubains se font de la tradition africaine, en fait, c'est une petite portion de la grande tradition africaine, à commencer par l'africaine de l'Ouest. Pour eux, c'est plutôt un retour aux sources. Ils en sont conscients et je tiens à souligner que leur musique demeure d'une grande richesse.  Tout ce que charrie cette musique cubaine me parle: la spiritualité, l'amour, la mélancolie, la tristesse, la joie. À la première note jouée par ces musiciens, nous ressentons une identité claire que les mots ne peuvent décrire.»

Force est de déduire que ce sommet Mali-Cuba laisse présager une suite des choses. Le maître malien de la kora, lui, le croit.

«Lorsque les Maliens que je connais écoutent cet enregistrement, ils ont l'impression d'une musique malienne avec des ornements cubains. À leur tour, les Cubains y entendent une musique cubaine avec des ornements africains. Ce qui est un très bon signe, somme toute! Chacun s'y retrouve.»

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Afrocubism est présenté ce vendredi, 20 h, au Métropolis, dans le cadre de la série Jazz à l'année du Festival international de jazz de Montréal.