Deux décennies de Massive Attack ont culminé lundi au Centre Bell. Mené par Robert Del Naja (3D) et Grant Marshall (Daddy G), soit deux membres du trio originel dont les rapports conflictuels semblent être chose du passé, la formation coule des jours plus harmonieux. Lundi après-midi, en tout cas, la bonne entente était palpable entre les cofondateurs de la célébrissime formation britannique.

«Vous vous souvenez de notre première tournée au Canada? Était-ce à Montréal que nous étions fâchés pour ensuite quitter la scène 10 minutes après le début du spectacle?» questionne Robert Del Naja, affichant le sourire narquois d'un homme de 44 ans qui ne craint pas l'autodérision.

«Non, c'était au Minnesota», de rectifier calmement Daddy G, un colosse ayant atteint la noble cinquantaine en décembre dernier.

En 2010, ces artistes d'expérience défendent leur patrimoine discographique et la matière d'Heligoland, leur plus récent album lancé au début de l'année. Ont participé aux sessions d'Heligoland plusieurs artistes importants tels Damon Albarn (Gorillaz, etc.), Guy Garvey (Elbow) ou Tunde Adebimpe (TV On the Radio). On conviendra de l'impossibilité de réunir ces leaders pour une tournée de Massive Attack.

Alors? Martina Topley-Bird, Horace Andy, Daddy G et 3D s'occupent des chants, des musiciens  les entourent - pour la plupart les mêmes que la précédente tournée, certains sont issus de Portishead et Spiritualised. Comment, au fait, ces musiques et grooves se transposent-ils sur scène?

3D explique: «Il faut remonter à l'époque de l'album Mezzanine (1998) pour expliquer le changement de la démarche qui nous avait d'abord réunis. Au départ, nous étions un sound system, l'échantillonneur numérique était notre instrument-clé. Progressivement, l'usage d'instruments analogiques est devenu courant. À ce titre, la tournée Mezzanine fut une expérience colossale, c'est devenu une façon de faire pour toutes les expériences subséquentes.»

Ainsi, ces DJ bidouilleurs, échantillonneurs et réalisateurs de l'ère numérique ont progressivement appris à maîtriser la lutherie analogique, bien au-delà de l'instrumentation rock. Daddy G insiste sur le caractère organique de cette progression: «Nous n'avons jamais fait appel à une direction musicale, nous nous sommes fiés à notre instinct. À différents stades de notre développement, nous avons intégré de nouveaux éléments, ce qui  nous a donné plus de liberté, plus de possibilités d'expérimenter.»

D'une certaine manière, Massive Attack a été un des groupes précurseurs de l'amalgame analogique-numérique. «Lorsque nous avons commencé, le hip hop n'utilisait pas d'instruments. Et The Roots ont complètement changé la donne. Aujourd'hui, plusieurs gros noms tournent avec des instruments», soulève Daddy G.

Depuis la parution de Mezzanine, en fait, nos interviewés ne voient pas de cycle clairement identifiable dans l'évolution de Massive Attack.

«Les phases du groupe, soulève 3D, sont beaucoup plus reliées à nos rencontres en studio qu'à la réalisation d'un concept esthétique. Et je dirais même que l'expérience de notre dernier album a consisté en un retour aux bases de l'enregistrement. Sur scène, c'est complètement différent; on ne peut ni faire des choses obscures avec un personnel inédit, ni reproduire ce qui s'est vécu en studio. Reproduire une telle expérience reviendrait à dupliquer l'atmosphère d'un bureau!

«La scène est plutôt une occasion de faire converger l'image et le son à travers les idées que nous estimons les plus pertinentes. Un groupe ne doit surtout pas rater une telle occasion. J'étais plus un artiste visuel au départ (surtout dans le graffiti) avant de m'impliquer en musique. Lorsque nous avons eu la chance de tourner avec Massive Attack, j'ai pu mettre à profit mes deux passions.»

Plus considérable que la précédente, l'actuelle tournée nord-américaine permet à Massive Attack un rayonnement accru. La dernière escale en 2007 et les précédentes ne se sont pas produites dans des arénas comme c'était le cas cette semaine à Montréal. Alors?  Grande mutation scénique?

«Pas autant qu'on ne le croit, infirme 3D.  Nous avons fait en sorte que nos idées soient adaptables pour de gros festivals comme pour des amphithéâtres de tailles variées. La qualité des idées l'emporte largement sur la taille des équipements mis à contribution. La technologie est au service de nos idées.»

Des idées, selon Daddy G, qu'on ne peut plus qualifier de trip-hop, ce genre musical à qui l'on attribue à Massive Attack la démarche fondatrice.

«Nous voulions mettre de l'avant cette étiquette à une époque où de jeunes artistes britanniques voulaient se démarquer du hip hop nord-américain. Avec le temps, nous avons fini par saisir pourquoi les gens ressentent le besoin de catégoriser et étiqueter. Aujourd'hui en tout cas, nous croyons ceci: coller une étiquette sur Massive Attack n'est vraiment la meilleure chose à envisager.»