Les premières notes chaudes et cuivrées de la légende du jazz américain Wynton Marsalis et de son groupe new-yorkais viennent de s'envoler dans une salle bondée et surchauffée de La Havane, faisant soudain fondre cinquante ans de «guerre froide» entre Cuba et les États-Unis.

Alors que l'île communiste a lancé une nouvelle offensive médiatique contre l'embargo américain, le «plus vieux du monde» à 48 ans, Wynton Marsalis et son orchestre du Lincoln Center de New York sont venus rappeler ce que les deux pays partagent: une passion pour le jazz.

Nombre de Cubains n'ont pu trouver de place, au prix unique de dix pesos (0,40 dollar), pour les quatre jours de représentations entamées mardi au théâtre Mella, dans le centre d'une ville considérée par certains comme la «capitale» du jazz avec la Nouvelle-Orléans dont est originaire M. Marsalis.

«Nous avons tellement en commun, tout musicien rêve de venir à Cuba», a déclaré le trompettiste américain de 49 ans, récipiendaire de neuf Grammy Award qui avait déjà visité Cuba par le passé mais sans son orchestre.

Sur la scène avait été invitée la légende du jazz cubain, le pianiste Chucho Valdes, 69 ans. «Le langage des mots empêche parfois les gens de se comprendre, mais celui de la musique appartient à tous et sert à unir les cultures de tous les pays», a-t-il dit.

Comme pour mieux illustrer cette union, les musiciens américains et leurs «invités d'honneur cubains» se sont efforcés de combiner les styles du jazz afro-cubain, du boléro, de la rumba avec le bebop, le free jazz ou le jazz fusion, jouant du Beny Moré, Ernesto Lecuona, John Coltrane ou Dizzy Gillepsie...

Le trompettiste Kenny Rampton trouve «très spécial de jouer» à La Havane. «Il y a ici une atmosphère électrique qu'on ne retrouve pas ailleurs», dit-il après un concert gratifié d'une ovation.

Gilberto Pedroso, producteur cubain du légendaire Buena vista social club, a les yeux qui brillent.

«C'est le meilleur concert que j'ai vu depuis 20 ans. On devrait organiser de tels échanges culturels et musicaux tous les ans, c'est la meilleure façon de rapprocher les peuples et les politiques», dit-il en rappelant la venue à La Havane au début novembre de l'American Ballet Theater, une première en 50 ans.

Depuis l'arrivée de Barack Obama à la Maison blanche en janvier 2009, les échanges culturels entre Cuba et les États-Unis, sans liens diplomatiques formels depuis près d'un demi-siècle, ont pris un nouvel essor.

Outre la visite prochaine de l'American Ballet Theater, le Musée des beaux-arts de La Havane a présenté au printemps 2009 la plus grande exposition d'artistes américains contemporains depuis la Révolution de 1959. Des artistes cubains doivent faire en retour l'objet d'une exposition collective l'an prochain à New York.

Il y a eu aussi, fin 2009, le group pop américain Kool and the Gang qui a donné sur la «Place anti-impérialiste» un concert gratuit devant des dizaines de milliers de Cubains, et en juin la première tournée américaine depuis 2003 du Buena vista social club.

Ces échanges marquent les changements survenus à Cuba qui, au plus fort de la «guerre froide» dans les années 1960, avait banni la musique occidentale «décadente», Beatles ou Rolling Stones. Les amateurs de jazz étaient, eux, mal vus par les autorités pour les liens de cette musique avec l'«empire» américain. Aujourd'hui, des concerts pop ou rock américains sont diffusés sans problème à la télévision cubaine.

Cuba partage avec les États-Unis «l'amour du baseball et du jazz, mais la musique c'est mieux car c'est universel», estime José Emilio, 21 ans, qui rêve de devenir pianiste.