Il est en quelque sorte le Dany Laferrière de la chanson : né ailleurs, plus exactement à Orléans (France), Jérôme Minière fait à ce point partie de la scène musicale québécoise qu'il a remporté le Félix de l'auteur-compositeur-interprète en 2003 et que chacun de ses disques cause une petite commotion. Il en va de même pour Le vrai le faux, son nouvel album, à la fois efficace et subtil.

Il est même rosemontois, Jérôme Minière, puisque son disque a été conçu quasi au complet dans le quartier, dans Villeray ou La Petite-Patrie, à deux pas de chez lui. C'est d'ailleurs dans sa cuisine qu'il a aussi eu l'idée de faire faire des CD en chocolat et... en saucisson pour son lancement: «C'est une réflexion sur les formats, en fait, dit-il en riant. Sur tous ces nouveaux «formats» dont on cherche celui qui sera le bon pour relancer l'industrie de la musique. On en est rendu au saucisson, dans un univers où il n'y a jamais eu autant de musique, mais une telle quantité qu'en fait, c'en est vertigineux...»

Il en résulte un disque étonnant, où des musiques dansantes, pop ou carrément dance, soutiennent des textes tout en finesse et en subtilité: si le précédent et beau disque de Minière (Coeurs, 2007), se penchait sur l'intime, Le vrai le faux, lui, s'intéresse à ce qui entoure l'intime, à ce qu'il y a autour du coeur, en quelque sorte: «Disons que je voulais que les portes soient ouvertes, explique-t-il. D'habitude, je mets toujours plus de chansons, plus d'arrangements, j'en fais toujours un labyrinthe, un truc compliqué. Cette fois, je voulais me faire confiance, faire moins de chansons, les faire plus simples.»

Et faire imagé, littéralement, puisqu'une série de capsules d'animation, dessinées par l'illustratrice Marie-Pierre Normand (voir autre texte), ont entretenu le suspense autour de l'album depuis quelques mois: sur le site www.jeromeminiere.ca on peut suivre, en une vingtaine d'épisodes (qui se termineront le 6 octobre) les démarches qui ont mené à la création de l'album, depuis le choix du titre jusqu'au studio en passant par les conseils du gérant ou le coaching offert pour être plus cool!

«Pour mousser les ventes d'albums, aujourd'hui, explique Minière, on sort tout plein de trucs autour du «produit», c'est-à-dire du disque. J'ai commencé le mien en me demandant si ce serait mon dernier album en plastique. Alors, j'ai fait plein de recherches, en bon élève que je suis, pour savoir ce qui le remplacerait, et on n'arrêtait pas de parler d'offrir aux gens «une expérience», «un nuage d'expériences», qu'est-ce que je pouvais bien faire là-dedans? Je suis quelqu'un de très discret! Je n'allais pas faire un making of ou des trucs du genre, tournés dans mon studio. Alors, je me suis dit que je pourrais raconter ce que je vivais, mais comme si c'était une fiction. Une vraie histoire, mais «fictionnalisée», car, finalement, je raconte des trucs très personnels, dans un studio qui n'existe que sur papier!»

L'épisode 7, par exemple, est inspiré en effet du rêve de Minière, quand il était plus jeune, de faire un duo avec Stevie Wonder. Ça donne une des capsules les plus rigolotes qui soient, qui ne se termine évidemment pas comme prévu.

Studio imaginaire ou pas, le disque, lui, est tangible et fascinant à plus d'un titre, appuyé parfois par un duo avec Bïa ou Ngabo, parfois par des synthétiseurs, gracieuseté de son copain Albin de la Simone: «J'ai fait plus rythmé, plus ramassé, je crois. J'ai épuré, je suis allé au plus court.»

Et c'est efficace rare. Simple, oui, mais pas facile: Rien à vous dire aborde la question de chanter en anglais, L'indifférence tente d'expliquer l'agressivité de certains d'entre nous, qui a mené à Columbine, Polytechnique, Dawson, Les décors est une adaptation d'un poème d'Aragon («Ce n'est pas un de mes poètes préférés, mais ça convenait tellement, comme texte...») ... Tout ça, on le répète, sur des musiques pop dansantes.

«C'est un peu comme la photo au verso de la pochette, conclut Minière. À gauche, c'est moi, enfant et déjà anxieux, à droite, c'est mon cousin, plus cool. C'est le même paradoxe.» Le vrai et le faux. Le noir et le blanc. Jérôme et Minière.