Cinq ans après la sortie de son fameux album Robots après tout propulsé par le succès populaire de la chanson Louxor, j'adore, l'iconoclaste chanteur français Philippe Katerine lance un nouveau disque: intitulé Philippe Katerine, il compte 24 chansons minimalistes, percutantes, provocantes, simplissimes, interprétées notamment par les parents et la fille de Katerine! Entrevue avec un électron libre et libérateur...

Q: Vous présentez 24 chansons qui sont 24 nouvelles idées, à la limite de la comptine pour adultes ou de la ritournelle, par exemple Juifs Arabes, où vous répétez uniquement ces deux mots pendant 2 minutes 30 avant de terminer par «Juifs Arabes ensemble». Comment avez-vous trouvé ces idées?

R: Ça m'a demandé des efforts. On pense qu'au fond, je n'ai pas travaillé, il y a même un copain qui m'a dit «Mais t'as rien foutu», et c'est le contraire, je n'ai pas arrêté de travailler. J'ai fait une soixantaine de chansons et puis, au bout d'un moment, ces 24 chansons me paraissaient les plus riches alors qu'elles étaient les plus pauvres en vocabulaire. C'est vrai que ça ressemble parfois à des comptines, mais ça n'est vraiment pas pour les enfants! Même si on me dit que les enfants aiment beaucoup le disque, mais c'est parce qu'ils aiment toujours les chansons avec le mot «fesse»... Moi aussi, d'ailleurs.

Q: Vous répétez très souvent les mêmes mots, alors que le français tend à privilégier le synonyme. Pourquoi avoir utilisé ce procédé?

R: C'est l'ivresse de la répétition: un mot répété évolue, prend un autre sens, au fur et à mesure. Quand la musique est mouvante derrière, ça change aussi.

Q: Justement, dans la chanson Musique d'ordinateur, vous utilisez la musique d'ouverture d'une session Windows XP, pourquoi?

R: C'est pas du tout par esprit de destruction ou de dénigrement, au contraire. C'est pour aimer cette musique, pour l'apprivoiser et l'aimer encore plus. Ce que je veux, c'est aimer notre environnement. Tel quel il est. C'est aussi l'idée de ma chanson Té-lé-pho-ne sur les cellulaires. Les accepter, les intégrer.

Q: Comment avez-vous fait pour éviter que tous ces concepts ne deviennent pas un jeu cérébral?

R: Je m'en méfiais, je savais que c'était possible de tomber dans le cérébral. Alors, j'ai glissé quelques chansons «normales» dans l'ensemble, pour détendre un peu l'atmosphère. Je pensais que les gens pourraient être énervés, au bout d'un moment. Alors, j'ai voulu donner comme une petite récompense (rires). Comme dans Parisvélib': ça parle d'amener quelqu'un en balade, dans un moment de bonheur, partagé, avec une mélodie agréable, c'est pas agressif. Un moment donné, il faut prendre la main à l'auditeur. Le réconforter un peu... avant de lui donner une bonne gifle!

Q: Dans Le Figaro, un journaliste s'est demandé si vous étiez un génie ou un escroc. Il a même lancé: «Philippe Katerine est soit un grand disque punk soit une belle merde» ! Vous considérez-vous punk?

R: Ben, c'est ma culture, tout de même. C'est le punk qui m'a donné envie de faire de la musique: les Clash, les Sex Pistols, ça m'a donné envie de fonder un groupe. Je ne sais pas si on peut dire que ce que je fais est punk ou pas, je n'en sais rien. Mais le punk fait partie de mon esprit. Seulement, je suis un éternel optimiste. Et ça, c'est pas très punk, finalement!

Q: Sur votre site www.katerinefrancisetsespeintres.com, vous reprenez chaque lundi une chanson à votre manière, que ce soit Sous le vent, du Mylène Farmer ou Amadou et Mariam (NDLR: une fois dans le site, cliquer sur les étoiles). Vous vouliez montrer que vous connaissiez vraiment la chanson pour être ainsi en mesure de la dépouiller comme sur votre disque?

R: Ce n'est pas pour prouver quoi que ce soit! Ce sont juste des chansons que je porte en moi. Je veux juste révéler quelque chose que je trouve beau dans ces chansons. C'est une façon de communiquer aux gens un truc que j'ai entendu dans ces chansons-là.

Q: Dans le film Gainsbourg, vie héroïque, vous interprétez Boris Vian, ça représentait quoi pour vous?

R: Ça me faisait plaisir, parce que j'aime beaucoup Vian... même si je n'aime pas tout ce qu'il a fait. Il y a des trucs qui m'énervent chez lui, par exemple quand il a fait du rock qu'il tournait en dérision. Mais évidemment, quand on m'a proposé le rôle, mon orgueil a répondu oui, tout de suite!

Q: Une dernière question: la chanson La banane est, l'air de rien, un refus du mode d'emploi de vivre aujourd'hui, c'était ça l'idée?

R: C'était surtout le plaisir de prononcer le mot banane! C'est un excellent moteur de chanson, le plaisir. Ne serait-ce que prononcer ce mot, ce que la bouche, les lèvres, la langue font pendant qu'on dit banane. Je suis très sérieux: c'est une vraie question pour un chanteur, le plaisir de chanter certains mots. Pour le fond de la chanson, c'est vrai que je me sens parfois très intégré dans cette société, parfois très en marge. C'est le paradoxe: quand on veut s'isoler, on est toujours rattrapé par la foule. Et quand on veut être à plusieurs, on se retrouve toujours tout seul...