C'est en train de devenir une habitude chez les Beatles. Après une version «dénudée» de l'album Let It Be, parue il y a quelques années à la demande de Paul McCartney, voici qu'on lance un remix «dépouillé» de Double Fantasy, dernier album officiel de John et Yoko.

À défaut d'être essentielle, cette version simplement intitulée Stripped down est assurément l'un des points d'intérêt des rééditions Lennon qui seront sur le marché mardi. Parce qu'on y redécouvre des chansons qui avaient été ensevelies sous des couches d'effets de studio typiquement années 80.

Faut-il voir cette version révisée comme un aveu d'échec? «Pas du tout, répond le producteur Jack Douglas, responsable de cette mise à nu. Je crois qu'à l'époque, nous avions fait le meilleur album possible. Mais Yoko souhaitait quelque chose de différent. Sans tomber dans le unplugged, je me suis dit qu'il fallait ramener le tout à quelque chose de très intimiste. Alors j'ai enlevé des couches d'écho, de delay, des tas d'overdubs et même la voix doublée de John, afin de revenir à la base.»

Douglas était un choix logique pour exécuter le travail. Car c'est lui qui était derrière la console pendant l'enregistrement original. Si Double Fantasy était à ce point surproduit, dit-il, c'est parce que la mode de l'époque allait en ce sens, mais aussi parce que John, plus timide après un silence de cinq ans, souhaitait se fondre dans le magma sonore. «Il était très inquiet dit-il. Il voulait qu'on enterre sa voix et qu'on la trafique avec des effets», explique le producteur.

Si l'on en croit Douglas, Lennon était cependant loin d'être une diva. Le chanteur se pointait en studio après l'heure du souper, après avoir entériné la plupart des arrangements. En général, quatre prises suffisaient et on passait à la chanson suivante. «Contrairement à d'autres, il respectait la frontière entre le chanteur et le producteur, confie Douglas, qui fut aussi ingénieur de son sur l'album Imagine en 1971. «En 10 ans, on ne s'est jamais engueulés...»

Ce fut moins le cas pour John et Yoko. Douglas rappelle que le couple n'a que très peu enregistré ensemble pendant les séances de Double Fantasy. Il confirme que les deux artistes travaillaient beaucoup mieux l'un sans l'autre. «John voulait s'impliquer. Donner son opinion. Il disait à Yoko: tu chantes plat. Elle n'était pas très réceptive à ses critiques. Pour elle, ce n'était pas le musicien qui parlait, mais le mari. Finalement, ils ont décidé de faire l'album séparément. Elle se sentait plus libre. Quand John se pointait au studio, elle partait s'occuper des trucs plus business.»

«Pogné» avec les chansons très différentes de l'un et de l'autre, le producteur a dû trouver un habillage pour uniformiser le tout. Le son de Double Fantasy serait ainsi un «compromis» entre John «qui souhaitait un disque plus soft» et Yoko «qui voulait un truc plus moderne, très années 80».

Un compromis gagnant, du reste, puisque l'album a fini par remporter le Grammy du meilleur album en 1980.

Douglas - qui est aussi connu pour son travail avec les groupes de hard rock Cheap Trick et Aerosmith - était un grand ami de John Lennon. Il fut, à ce titre, une des premières personnes à s'exprimer publiquement après la mort du chanteur (voir l'entrevue Tom Snyder sur YouTube).

Quand on lui demande de spéculer sur la direction musicale qu'aurait empruntée l'ex-Beatles, le producteur n'émet aucun doute. «Avant de mourir, il était très excité par le dub et les balbutiements du rap. Je suis sûr qu'on aurait fini par aller en Jamaïque pour enregistrer quelques pistes...»