S'il a déjà chanté «I went to the market, mon p'tit panier sous mon bras», Gilles Vigneault n'avait pourtant jamais chanté en anglais... ni été adapté en anglais. Non, le texte de l'exécrable From New York to L.A., toune disco sur sa musique de Mon pays en 1976, n'était pas de lui! Depuis peu pourtant, les enfants anglophones peuvent fredonner ses jolies chansons, dont celles du magnifique disque Un dimanche à Kyoto, lancé en anglais la semaine passée sous le titre... Sunday in Kyoto.

Et franchement, croyez-en une journaliste qui fut traductrice dans une autre de ses vies, le résultat est vraiment réussi. Interprétées par Patrick Watson, Coral Egan, Thomas Hellman, Jessica Vigneault et Ndidi O (véritable découverte que cette chanteuse canadienne d'origine nigériane dont la voix rappelle Billie Holiday!), les mots de Vigneault sont passés avec grâce et allégresse dans la langue de Cohen.

Ce sont les soeurs Michelle et Suzanne Campagne - eh oui, de la fameuse famille Campagne - qui les ont adaptées, ainsi qu'elles l'avaient déjà fait pour celles de l'album Un trésor dans mon jardin (A Treasure in My Garden) en 2007. «Il y a des gens qui font des sudokus pour s'amuser; moi, j'aime prendre des poèmes et les traduire, dit de sa jolie voix rieuse Michelle Campagne. C'est comme des casse-tête, des puzzles pour moi. Et traduire du Vigneault, qu'est-ce que tu peux demander de mieux? En plus, si j'avais des questions, j'avais le gars qu'il fallait pour y répondre!»

Car Jessica Vigneault, fille de Gilles, co-compositrice de six des musiques de l'album, était là pour réviser, s'assurer que l'esprit du texte était respecté et transmettre les fameuses questions à papa Gilles: «Je représentais mon père, il sait que je passe une partie de ma vie en anglais - je vis avec un anglophone qui apprend lentement le français (rires) -, je chante du jazz en anglais, j'écris en anglais, explique Jessica Vigneault. Michelle et Suzanne ont fait un travail formidable, je l'ai simplement révisé. Il y a une seule chanson dont la traduction anglaise est de moi, explique Jessica Vigneault, c'est The Great Big Kite (Le grand cerf-volant), parce que la première version de Michelle nous amenait tout à fait ailleurs que l'originale. Franchement, l'adaptation exige toujours des compromis et ça m'emmerde habituellement. Mais là, j'ai vraiment pas grand-chose à redire!»

La réviseure a également interprété en anglais les chansons qu'elle faisait sur la version française, mais avec un timbre de voix un peu différent: «C'est vrai, j'ai la voix plus basse... parce que j'ai grandi depuis la sortie de l'album français, il y a cinq ans!»

Les musiques, les arrangements, les tempos sont, eux, identiques à ceux de la version originale. Ce sont les mots, la langue elle-même - et donc l'accent tonique, le phrasé - qui ont changé et qui transforment un peu les chansons. Toujours sur étiquette de la Montagne secrète, le disque anglais compte trois morceaux de moins qu'un dimanche à Kyoto: la mythique Danse à Saint-Dilon n'a pas été adaptée. Parce que Saint-Dilon n'existe que dans nos têtes et notre culture -un peu comme la fameuse ferme de Old MacDonald!-, comment l'adapter à la langue et la culture anglo-saxonnes sans la travestir complètement?

Or, toute l'expérience a profondément respecté le poète de Natashquan: les chanteurs sont justes et inspirés, la réalisation est impeccable («J'ai tellement aimé travailler avec Paul Campagne qu'il va coréaliser mon album», dit Jessica Vigneault), les textes aussi jolis que les originaux... Bref, Michelle Campagne peut maintenant se lancer dans un nouveau défi: adapter en anglais les chansons de Lionel Daunais qui figurent sur le disque pour enfants Le petit chien de laine. «Mais cette fois, la difficulté, c'est de traduire des mots qui ne sont pas dans le dictionnaire!»

GILLES VIGNEAULT

SUNDAY IN KYOTO

THE SECRET MOUNTAIN