Si son opéra Nelligan a connu un grand succès récemment, s'il a réalisé l'album du violoniste virtuose Marc-André Gautier, signé des mises en scène et même contribué au Festival du roman policier de Saint-Pacôme (!), André Gagnon s'est pourtant fait discret depuis 2003: pas de disque ni de concert. Inattendu, son 34e album studio Les chemins ombragés sort mardi, quelques semaines avant une vaste tournée...

Dans le beau salon de sa maison du square Saint-Louis, André Gagnon est pudique: il ne s'attardera pas à la maladie de Dupuytren, qui lui a peu à peu rétracté et fermé la main droite, au point qu'il ne pouvait plus jouer, plus composer. «Mais j'avais accepté ce qui m'arrivait, dit Gagnon, je me disais que j'étais dû pour autre chose. Et puis, je sais très bien quoi faire quand je n'ai rien à faire!» ajoute-t-il avec son humour habituel. Mais quand il a été question d'opérer sa main, il lui a fallu du temps pour se décider. «Et puis, deux mois après l'opération, je me suis approché du piano...»

André Gagnon a alors envoyé valdinguer les exercices de réadaptation pour plutôt se mettre à jouer, jouer, jouer du piano. Et écrire des musiques, 20 musiques, dont il en a retenu 10 (plus la dernière du disque, écrite d'un seul jet alors même que l'enregistrement des Chemins ombragés était terminé). Il avait retrouvé sa main, et la musique.

On le répète, ce n'est pas lui qui insiste sur le sujet. Tout au plus concède-t-il que «depuis deux ans, il vit une petite renaissance». Ce dont il a vraiment envie de parler, c'est plutôt du nouvel album, baptisé Les chemins ombragés et illustré par une photo «sans Photoshop, sans tricher, qui annonce le contenu, presque à coeur ouvert».

Un album inattendu à plus d'un titre puisque certaines compositions diffèrent de ce à quoi il nous a habitués, qu'elles soient interprétées au piano solo ou avec l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières. «J'ai même intitulé un de mes morceaux L'inattendue parce que je me préparais à jouer tout autre chose quand cette pièce est arrivée je ne sais d'où!»

Par exemple, le très beau morceau Pensées fugitives, qui ouvre l'album, ou Voiles, inspirée par la vue de bateaux au loin: «En fait, c'est une de mes copistes (personnes chargées de transcrire la musique sur partition) qui me l'a fait remarquer: tout l'album est composé en bémol. C'est peut-être parce que c'est une des très rares fois dans ma vie où j'ai composé seulement au piano.»

Cela donne des oeuvres parfois nostalgiques, parfois pensives ou sereines: «Le morceau pour piano solo Musique pour plus tard, je l'ai écrit pour que Paul Arcand en fasse un de ses «moments zen», et même double zen, à son émission radio du matin, explique Gagnon en riant. Dimanche nostalgie, c'est autre chose. Je l'ai d'abord enregistré avec l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières. Seulement, c'est un morceau que j'ai composé en songeant à mes dimanches midi, plus jeune, à Saint-Pacôme: entre la fin de la grand-messe et l'heure du dîner, donc de 11h à midi, tous les dimanches, on se faisait un petit concert dans le salon, juste en famille. Je jouais en duo avec mes soeurs, j'interprétais ce que j'avais appris dans la semaine et, pendant les 10 dernières minutes, mes frères me demandaient de jouer les chansons à succès du moment. Alors, j'ai réalisé que les arrangements de l'orchestre étaient trop... vastes, et j'ai décidé de réenregistrer Dimanche nostalgie seul au piano», dit André Gagnon qui, à 68 ans, est toujours, d'une certaine façon, le «petit dernier» d'une famille de 19 enfants (dont sept morts en bas âge). Ses cinq soeurs et frères encore de ce monde pourront aller écouter et voir leur benjamin jouer dans les semaines à venir, puisque Gagnon sera en tournée québécoise à compter d'octobre, soit avec six musiciens, soit en formule solo.

«Tu ne me demandes pas pourquoi j'ai intitulé le disque Les chemins ombragés? Ben, je vais te le dire pareil! Je marchais dans un des sentiers près de mon chalet, je l'appelle le chemin Tolstoï parce que j'ai vu une photo d'un des sentiers qui entouraient le domaine de Tolstoï et on dirait que c'est exactement le même. Ce que je voulais dire, c'est que j'ai réalisé en marchant qu'un sentier, c'est un tricot de soleil et d'ombre. Et que pour qu'il y ait de l'ombre, il faut nécessairement qu'il y ait du soleil... Je trouve que ça correspond bien à ce qui m'arrive, non?»