Depuis plus de 50 ans, Byron Lee & the Dragonaires jouent aux G.O. de la pop jamaïcaine. La mission continue, même si le fondateur du groupe est décédé...

On les revoit encore, posant tout sourire devant la piscine d'un Hilton jamaïcain, sur la pochette de leur album Top of the Ladder. C'était en 1967, quelques années après leur fameuse apparition dans le film James Bond contre Dr. No. À cette époque, le reggae n'existait pas encore et les Dragonaires de Byron Lee étaient considérés comme la plus «présentable» des exportations musicales jamaïcaines, ce qui leur avait d'ailleurs valu d'être invités à l'Expo 67.

Bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis. Et plusieurs membres de la formation sont partis vers un meilleur monde, à commencer par le leader en personne, décédé en 2008. Mais cela n'a pas empêché le groupe de poursuivre ses activités, comme en témoigne sa présence demain au Festival reggae de Montréal, qui se tient jusqu'à dimanche au Vieux-Port.

«Avant de mourir, Byron nous a réunis, moi et son fils, raconte Neville Hinds, directeur musical de la formation. Il nous a dit qu'il souhaitait que le groupe continue sans lui. Nous avons décidé d'exaucer son désir.»

À 62 ans, Neville est un des trois plus anciens membres des Dragonaires. Sur la pochette de Top of the Ladder, il est celui qui joue de l'orgue, en bas à gauche de la photo. À cette époque, encore tout jeune, il venait tout juste de rejoindre le groupe, qui était déjà bien implanté dans le circuit des hôtels jamaïcains et des foires internationales.

Il n'a pas tardé à en profiter. Quelques semaines après son arrivée, Byron Lee amenait sa troupe à Montréal, pour se produire au pavillon jamaïcain de Terre des Hommes. Il en garde un souvenir impérissable. «Je n'avais jamais joué devant autant de monde, dit-il. D'ailleurs, Byron non plus. Par la suite, il a toujours parlé de son spectacle à l'Expo comme d'un haut fait de sa carrière.»

Un pont entre deux Jamaïques

À cette époque, Bob Marley était encore inconnu et le ska était la musique en vogue. Parce qu'ils avaient belle allure et qu'ils avaient des «connections», Byron Lee et ses Dragonaires sont devenus, par défaut, les ambassadeurs internationaux de la pop jamaïcaine. Plusieurs leur ont reproché de n'offrir qu'une version édulcorée, tout juste bonne pour les touristes, ce que Neville Hinds admet en partie.

Mais cela, croit-il, ne doit rien enlever à Byron Lee, qui a beaucoup donné à la musique jamaïcaine.

D'abord, son groupe offrait un parfait compromis entre les quartiers riches et pauvres de Kingston. Chinois d'origine, Lee avait été élevé dans le «Uptown». La plupart de ses musicien, Neville Hinds en tête, venaient du «Downtown». Parce qu'il «faisait le pont entre deux mondes», ce mélange était parfait pour l'exportation.

Ensuite, c'est à Byron Lee que l'on doit la fondation des mythiques Dynamic Sound Studios, sans lesquels l'histoire de la musique jamaïcaine n'aurait pas tout à fait été la même. C'est là, notamment, qu'ont été tournées les scènes de studio du film The Harder They Come, mettant en vedette la grande star du reggae Jimmy Cliff.

Neville Hinds s'en souvient puisqu'il y était! «Au départ, je devais jouer le rôle d'un musicien. Mais quand je suis arrivé sur le plateau, le réalisateur m'a dit que j'étais trop bien habillé! Finalement, on m'a donné le rôle de l'arrangeur!»

Pour les 6 à 60 ans

Avec l'explosion interplanétaire du reggae, vers le milieu des années 70, le visage de la musique jamaïcaine a radicalement changé. Les tenants de la vieille école, comme Byron Lee&The Dragonaires ont été relégués au second plan, éclipsés par une nouvelle génération de chanteurs rastas conscientisés et chevelus. Le groupe a néanmoins continué de se produire dans le circuit des festivals, à promouvoir la diversité musicale des Caraïbes.

Au début des années 80, Neville Hinds en profitera de son côté pour revenir à Montréal, gracieuseté d'un mariage avec une Québécoise. Son séjour se prolongera jusqu'en 1985, alors qu'il retournera vivre en Jamaïque... divorcé! «Je m'ennuie beaucoup de Montréal. Je vivais à Pointe-Claire, mais j'adorais la rue Saint-Denis et j'écoutais André Gagnon, raconte-t-il. En revanche, je ne me suis jamais fait à l'hiver!»

Que les amateurs d'exotisme se rassurent: il n'y aura sûrement pas d'André Gagnon demain soir, pendant la prestation des Dragonaires au reggaefest, mais bien plutôt du reggae, du ska, du soca et du calypso.

Une palette éclectique que le musicien résume en peu de mots. «On peut nous faire porter bien des chapeaux, mais nous sommes, et nous n'avons toujours été qu'un groupe de danse. Comme disait Byron: nous jouons de la musique pour les 6 à 60 ans. C'était son adage et j'y souscris entièrement.»

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Byron Lee & the Dragonaires, vendredi 6 août au Festival de reggae de Montréal.