«Si je suis arabe? Je suis Algérien. Constantinois. Nord-Africain. Je m'identifie à quelque chose de plus global. De religieux ou de racial? Oh la la... non, non!» tranche le leader de Sarazino. Fils de diplomate, Lamine Fellah a vécu son enfance et son adolescence en Espagne, en Suisse, au Burkina Faso, au Tchad, au Burundi, sans compter l'Algérie.

«Quand j'ai obtenu le bac, je suis parti étudier à l'Université de Montréal, soit en 1990. Jusqu'en 2003, je suis resté au Canada, pays que j'ai beaucoup aimé et que j'aime beaucoup. Et puis voilà, premier album de Sarazino en français, avait été fait à Montréal et lancé en 1996. Le deuxième, Un Mundo Babilon, a été amorcé à Montréal et terminé en Équateur alors que Ya Foy!, le troisième, a été entièrement créé en Équateur.»

Et pourquoi cette énième migration, cette fois en Amérique latine?

«L'Équateur, répond Lamine, est un petit pays très intéressant. Pas mal de jeunes y font de la musique, des genres différents y fleurissent; musiques andines, musique afro-équatoriennes... À Quito, des musiques expérimentales y mélangent les genres.»

Notre nomade a débarqué par hasard en Équateur, alors que son frère y faisait un stage.

«Je m'y suis fait beaucoup d'amis. J'étais très intéressé par la culture latino-américaine. C'est pourquoi j'ai terminé mon deuxième album en Amérique du Sud. Après l'avoir fait, on m'a proposé un contrat de production pour un artiste. J'y suis resté, ça fait huit ans que je suis là-bas.»

Force est d'observer que Lamine Fellah a quitté son Algérie natale pour ne jamais y revenir. «C'est mon parcours... On a eu là-bas une guerre terrible durant laquelle j'ai même perdu mon père, assassiné en décembre 1993 par le Groupe Islamiste Armé. Nous avons été contraints à l'exil. Le reste de ma famille est parti s'installer au Canada, et ça a bloqué tous les projets musicaux que j'avais avec la scène algérienne. Cette tragédie ne m'a pas vraiment donné l'envie d'y retourner.

«Ça s'est calmé un peu depuis, mais la société algérienne continue d'être prise en otage par les islamistes. Il y a encore beaucoup d'intolérance, c'est très difficile au niveau de la liberté d'expression. Cela dit, j'essaie de travailler avec des artistes algériens qui sont à Paris, comme le jeune chanteur de raï Reda Taliani que j'aime beaucoup.»

À base de reggae, on peut dire de la pop indie sous la bannière Sarazino qu'elle fait partie de la grande famille Manu Chao, une approche ayant connu de multiples ramifications.

«J'ai découvert le reggae en Afrique, un genre que j'adore. De surcroît, un dénominateur commun entre ma culture africaine et cette culture sud-américaine que j'ai surtout approfondie en Équateur. Parce que le reggae harmonise aisément ces deux vastes cultures. Quand je mets en musique un parolier d'Équateur (Nadia Ruiz), d'Espagne (Isidro Garcia) ou d'Afrique (moi-même), je peux faire coïncider tout ça, témoigner des deux grandes tendances», explique le compositeur, réalisateur, chanteur et parolier à ses heures.

Ainsi, le reggae composite de Sarazino sera décliné à Montréal par trois Équatoriens (guitare, basse, batterie) et deux chanteurs africains (Algérien et Ivoirien)... qui s'exprimeront surtout en espagnol, sans compter l'anglais et le français!

«Dans toute l'Amérique du Sud, de renchérir Lamine Fellah, le reggae est devenu très important. Argentins, Colombiens, Brésiliens, Équatoriens et autres latino-américains le pratiquent. Le reggae est beaucoup apprécié par les jeunes là-bas, notamment pour ses textes à saveur critique. C'est quelque chose de très présent en Amérique latine. Autant qu'en Afrique, d'ailleurs.»

Chose certaine, voila véhicule idéal pour notre interviewé, nomade devant l'Éternel.

Sarazino se produit ce vendredi, 21h, au Cabaret du Mile-End.